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ÉQUIVOQUE.

de la chaude, moyennant quoi l’accusé plongeait sa main dans de l’eau tiède jusqu’au coude, et prenait au fond l’anneau bénit qu’on y jetait.

On pouvait faire bouillir de l’huile avec de l’eau ; l’huile commence à s’élever, à jaillir, à paraître bouillonner quand l’eau commence à frémir ; et cette huile n’a encore acquis que très-peu de chaleur. On semble alors mettre sa main dans l’eau bouillante, et on l’humecte d’une huile qui la préserve.

Un champion peut très-facilement s’être endurci jusqu’à tenir quelques secondes un anneau jeté dans le feu, sans qu’il reste de grandes marques de brûlures.

Passer entre deux feux sans se brûler n’est pas un grand tour d’adresse quand on passe fort vite, et qu’on s’est bien pommadé le visage et les mains. C’est ainsi qu’en usa ce terrible Pierre Aldobrandin, Petrus Igneus (supposé que ce conte soit vrai), quand il passa entre deux bûchers à Florence, pour démontrer, avec l’aide de Dieu, que son archevêque était un fripon et un débauché. Charlatans ! charlatans ! disparaissez de l’histoire.

C’était une plaisante épreuve que celle d’avaler un morceau de pain d’orge, qui devait étouffer son homme s’il était coupable. J’aime bien mieux Arlequin, que le juge interroge sur un vol dont le docteur Balouard l’accuse. Le juge était à table, et buvait d’excellent vin quand Arlequin comparut ; il prend la bouteille et le verre du juge ; il vide la bouteille, et lui dit : « Monsieur, je veux que ce vin-là me serve de poison, si j’ai fait ce dont on m’accuse. »


ÉQUIVOQUE[1].


Faute de définir les termes, et surtout faute de netteté dans l’esprit, presque toutes les lois, qui devraient être claires comme l’arithmétique et la géométrie, sont obscures comme des logogriphes. La triste preuve en est que presque tous les procès sont fondés sur le sens des lois, entendues presque toujours différemment par les plaideurs, les avocats et les juges.

Tout le droit public de notre Europe eut pour origine des équivoques, à commencer par la loi salique. Fille n’héritera point en terre salique ; mais qu’est-ce que terre salique ? et fille n’héritera-t-elle point d’un argent comptant, d’un collier à elle légué, qui vaudra mieux que la terre ?

  1. Questions sur l’Encyclopédie, cinquième partie, 1771. (B.)