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ÉPREUVE.

Le sort tomba sur Jonathas, pour le punir d’avoir mangé un peu de miel au bout d’une verge[1].

Les matelots de Joppé jetèrent le sort pour apprendre de Dieu quelle était la cause de la tempête[2]. Le sort leur apprit que c’était Jonas, et ils le jetèrent dans la mer.

Toutes ces épreuves par le sort, qui n’étaient que des superstitions profanes chez les autres nations, étaient la voix de Dieu même chez le peuple chéri, et tellement la voix de Dieu que les apôtres tirèrent au sort la place de l’apôtre Judas[3]. Les deux concurrents étaient saint Mathias et Barsabas. La Providence se déclara pour saint Mathias.

Le pape Honorius, troisième du nom, défendit, par une décrétale, que l’on se servît dorénavant de cette voie pour élire des évêques. Elle était assez commune : c’est ce que les païens appelaient sortilegium, sortilége. Caton dit dans la Pharsale (IX, 581) :

Sortilegis egeant dubii. . . . . . . . . . . . . . . .

Il y avait d’autres épreuves au nom du Seigneur chez les Juifs, comme les eaux de jalousie[4]. Une femme soupçonnée d’adultère devait boire de cette eau mêlée avec de la cendre, et consacrée par le grand-prêtre. Si elle était coupable, elle enflait sur-le-champ, et mourait. C’est sur cette loi que tout l’Occident chrétien établit les épreuves dans les accusations juridiques, ne sachant pas que ce qui était ordonné par Dieu même dans l’Ancien Testament n’était qu’une superstition absurde dans le Nouveau.

Le duel fut une de ces épreuves, et elle a duré jusqu’au xvie siècle. Celui qui tuait son adversaire avait toujours raison.

La plus terrible de toutes était de porter, dans l’espace de neuf pas, une barre de fer ardent sans se brûler. Aussi l’histoire du moyen âge, quelque fabuleuse qu’elle soit, ne rapporte aucun exemple de cette épreuve, ni de celle qui consistait à marcher sur neuf coutres de charrue enflammés. On peut douter de toutes les autres, ou expliquer les tours de charlatans dont on se servait pour tromper les juges. Par exemple, il était très-aisé de faire l’épreuve de l’eau bouillante impunément : on pouvait présenter un cuvier à moitié plein d’eau fraîche, et y verser juridiquement

  1. Livre I des Rois, chap. xiv, v. 42. (Note de Voltaire.)
  2. Jonas, chapitre i. (Id.)
  3. Actes des apôtres, chapitre i. (Id.)
  4. Nombres, chapitre v, v. 17. (Id.)