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CARACTÈRE.

animaux qui la broutent, que pour l’homme, à qui le gramen et le trèfle sont assez inutiles. Si la nature a produit les arbres en faveur de quelque espèce, il est difficile de dire à qui elle a donné la préférence : les feuilles, et même l’écorce, nourrissent une multitude prodigieuse d’insectes ; les oiseaux mangent leurs fruits, habitent entre leurs branches, y composent l’industrieux artifice de leurs nids ; et les troupeaux se reposent sous leurs ombres. L’auteur du Spectacle de la nature[1] prétend que la mer n’a un flux et un reflux que pour faciliter le départ et l’entrée de nos vaisseaux. Il paraît que Matthieu Garo raisonnait encore mieux : la Méditerranée, sur laquelle on a tant de vaisseaux, et qui n’a de marée qu’en trois ou quatre endroits, détruit l’opinion de ce philosophe.

Jouissons de ce que nous avons, et ne croyons pas être la fin et le centre de tout. Voici sur cette maxime quatre petits vers d’un géomètre ; il les calcula un jour en ma présence : ils ne sont pas pompeux :

Homme chétif, la vanité te point.
Tu te fais centre : encor si c’était ligne !
Mais dans l’espace à grand’peine es-tu point.
Va, sois zéro : ta sottise en est digne.


CARACTÈRE[2].


Du mot grec impression, gravure. C’est ce que la nature a gravé dans nous.

Peut-on changer de caractère ? Oui, si on change de corps. Il se peut qu’un homme né brouillon, inflexible et violent, étant tombé dans sa vieillesse en apoplexie, devienne un sot enfant pleureur, timide et paisible. Son corps n’est plus le même. Mais tant que ses nerfs, son sang et sa moelle allongée seront dans le même état, son naturel ne changera pas plus que l’instinct d’un loup et d’une fouine.

L’auteur anglais du Dispensary, petit poëme très-supérieur aux Capitoli italiens, et peut-être même au Lutrin de Boileau, a très-bien dit, ce me semble :

Un mélange secret de feu, de terre et d’eau
Fit le cœur de César et celui de Nassau.

  1. Pluche. Voyez ci-devant l’article Bornes de l’esprit humain.
  2. Dictionnaire philosophique, 1764. (B.)