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ÉPOPÉE.

Après avoir fait voir tant de royaumes aux yeux d’Adam, on lui montre aussitôt un hôpital ; et l’auteur ne manque pas de dire que c’est un effet de la gourmandise d’Ève.

« Il vit un lazaret où gisaient nombre de malades, spasmes hideux, empreintes douloureuses, maux de cœur, d’agonie, toutes les sortes de fièvres, convulsions, épilepsies, terribles catarrhes, pierres et ulcères dans les intestins, douleurs de coliques, frénésies diaboliques, mélancolies soupirantes, folies lunatiques, atrophies, marasmes, peste dévorante au loin, hydropisies, asthmes, rhumes, etc. »

Toute cette vision semble une copie de l’Arioste : car Astolphe, monté sur l’hippogriffe, voit en volant tout ce qui se passe sur les frontières de l’Europe et sur toute l’Afrique. Peut-être, si on l’ose dire, la fiction de l’Arioste est plus vraisemblable que celle de son imitateur : car en volant, il est tout naturel qu’on voie plusieurs royaumes l’un après l’autre ; mais on ne peut découvrir toute la terre du haut d’une montagne.

On a dit que Milton ne savait pas l’optique ; mais cette critique est injuste ; il est très-permis de feindre qu’un esprit céleste découvre au père des hommes les destinées de ses descendants. Il n’importe que ce soit du haut d’une montagne ou ailleurs. L’idée au moins est grande et belle.

Voici comme finit ce poëme :

La Mort et le Péché construisent un large pont de pierre qui joint l’enfer à la terre pour leur commodité et pour celle de Satan, quand ils voudront faire leur voyage. Cependant Satan revole vers les diables par un autre chemin ; il vient rendre compte à ses vassaux du succès de sa commission ; il harangue les diables, mais il n’est reçu qu’avec des sifflets. Dieu le change en grand serpent, et ses compagnons deviennent serpents aussi.

Il est aisé de reconnaître dans cet ouvrage, au milieu de ses beautés, je ne sais quel esprit de fanatisme et de férocité pédantesque qui dominait en Angleterre du temps de Cromwell, lorsque tous les Anglais avaient la Bible et le pistolet à la main. Ces absurdités théologiques, dont l’ingénieux Butler, auteur d’Hudibras, s’est tant moqué, furent traitées sérieusement par Milton. Aussi cet ouvrage fut-il regardé par toute la cour de Charles II avec autant d’horreur qu’on avait de mépris pour l’auteur.

Milton avait été quelque temps secrétaire, pour la langue latine, du parlement appelé le rump ou le croupion. Cette place fut le prix d’un livre latin en faveur des meurtriers du roi Charles Ier : livre (il faut l’avouer) aussi ridicule par le style que