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ÉPOPÉE.

des injures ; ce sont des anges qui se font la guerre dans le ciel, et qui la font à Dieu. Il y a dans le ciel des dévots et des espèces d’athées, Abdiel, Ariel, Arioch, Ramiel, combattent Moloch, Belzébuth, Nisroch ; on se donne de grands coups de sabre ; on se jette des montagnes à la tête avec les arbres qu’elles portent, et les neiges qui couvrent leurs cimes, et les rivières qui coulent à leurs pieds. C’est là, comme on voit, la belle et simple nature !

On se bat dans le ciel à coups de canon ; encore cette imagination est elle prise de l’Arioste ; mais l’Arioste semble garder quelque bienséance dans cette invention. Voilà ce qui a dégoûté bien des lecteurs italiens et français. Nous n’avons garde de porter notre jugement ; nous laissons chacun sentir du dégoût ou du plaisir à sa fantaisie.

On peut remarquer ici que la fable de la guerre des géants contre les dieux semble plus raisonnable que celle des anges, si le mot de raisonnable peut convenir à de telles fictions. Les géants de la fable étaient supposés les enfants du Ciel et de la Terre, qui redemandaient une partie de leur héritage à des dieux auxquels ils étaient égaux en force et en puissance. Ces dieux n’avaient point créé les Titans ; ils étaient corporels comme eux. Mais il n’en est pas ainsi dans notre religion. Dieu est un être pur, infini, tout-puissant, créateur de toutes choses, à qui ses créatures n’ont pu faire la guerre, ni lancer contre lui des montagnes, ni tirer du canon.

Aussi cette imitation de la guerre des géants, cette fable des anges révoltés contre Dieu même, ne se trouve que dans les livres apocryphes attribués à Énoch dans le ier siècle de notre ère vulgaire, livres dignes de toute l’extravagance du rabbinisme.

Milton a donc décrit cette guerre. Il y a prodigué les peintures les plus hardies. Ici ce sont des anges à cheval, et d’autres qu’un coup de sabre coupe en deux, et qui se rejoignent sur-le-champ ; là c’est la Mort qui lève le nez pour renifler l’odeur des cadavres qui n’existent pas encore. Ailleurs elle frappe de sa massue pétrifique sur le froid et sur le sec. Plus loin, c’est le froid, le chaud, le sec et l’humide, qui se disputent l’empire du monde, et qui conduisent en bataille rangée des embryons d’atomes. Les questions les plus épineuses de la plus rebutante scolastique sont traitées en plus de vingt endroits dans les termes mêmes de l’école. Des diables en enfer s’amusent à disputer sur le libre arbitre, sur la prédestination, tandis que d’autres jouent de la flûte.

Au milieu de ces inventions, il soumet son imagination poé-