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ÉPOPÉE.

Des sourdes factions, des effrénés désirs ;
Séjour où tout est faux, et même les plaisirs.

Les papes, les césars, apaisant leur querelle,
Jurent sur l’Évangile une paix fraternelle ;
Vous les voyez demain l’un de l’autre ennemis ;
C’était pour se tromper qu’ils s’étaient réunis :
Nul serment n’est gardé, nul accord n’est sincère ;
Quand la bouche a parlé, le cœur dit le contraire.
Du ciel qu’ils attestaient ils bravaient le courroux ;
L’intérêt est le dieu qui les gouverne tous.

Il n’y a personne d’assez barbare pour ignorer qu’Astolphe alla dans le paradis (chant XXXIV) reprendre le bon sens de Roland, que la passion de ce héros pour Angélique lui avait fait perdre, et qu’il le lui rendit très-proprement renfermé dans une fiole.

Le prologue du trente-cinquième chant est une allusion à cette aventure :

Chi salirà per me, madonna, in cielo, etc.

Ceux qui n’entendent pas l’italien peuvent se faire quelque idée de ces strophes par la version française :

Oh ! si quelqu’un voulait monter pour moi
Au paradis ! s’il y pouvait reprendre
Mon sens commun ! s’il daignait me le rendre !...
Belle Aglaé, je l’ai perdu pour toi ;
Tu m’as rendu plus fou que Roland même ;
C’est ton ouvrage : on est fou quand on aime.
Pour retrouver mon esprit égaré
Il ne faut pas faire un si long voyage.
Tes yeux l’ont pris, il en est éclairé.
Il est errant sur ton charmant visage,
Sur ton beau sein, ce trône des amours ;
Il m’abandonne. Un seul regard peut-être.
Un seul baiser peut le rendre à son maître :
Mais sous tes lois il restera toujours.

Ce molle et facetum[1] de l’Arioste, cette urbanité, cet atticisme, cette bonne plaisanterie répandue dans tous ses chants, n’ont été ni rendus, ni même sentis par Mirabaud, son traducteur, qui ne

  1. Horace, livre Ier, satire x.