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ÉPOPÉE.

Homère n’a jamais fait répandre de pleurs. Le vrai poëte est, à ce qui me semble, celui qui remue l’âme et qui l’attendrit ; les autres sont de beaux parleurs. Je suis loin de proposer cette opinion pour règle. Je donne mon avis, dit Montaigne, non comme bon, mais comme mien[1].


DE LUCAIN.


Si vous cherchez dans Lucain l’unité de lieu et d’action, vous ne la trouverez pas ; mais où la trouveriez-vous ? Si vous espérez sentir quelque émotion, quelque intérêt, vous n’en éprouverez pas dans les longs détails d’une guerre dont le fond est rendu très-sec, et dont les expressions sont ampoulées ; mais si vous voulez des idées fortes, des discours d’un courage philosophique et sublime, vous ne les verrez que dans Lucain parmi les anciens. Il n’y a rien de plus grand que le discours de Labiénus à Caton, aux portes du temple de Jupiter Ammon, si ce n’est la réponse de Caton même :

Hæremus cuncti superis ; temploque tacente
Nil facimus non sponte Dei. . . . . . . .
. . . . . . . . Steriles num legit arenas
Ut caneret paucis ? mersitne hoc pulvere verum ?
Estne Dei sedes nisi terra, et pontus, et aer,
Et cœlum, et virtus ? Superos quid quærimus ultra ?
Jupiter est quodcumque vides, quocumque moveris.

(Pharsale, l. IX, v. 573-574 ; 576-580.)

Mettez ensemble tout ce que les anciens poëtes ont dit des dieux, ce sont des discours d’enfants en comparaison de ce morceau de Lucain. Mais dans un vaste tableau où l’on voit cent personnages, il ne suffit pas qu’il y en ait un ou deux supérieurement dessinés.


DU TASSE.


Boileau a dénigré le clinquant du Tasse[2] ; mais qu’il y ait une centaine de paillettes d’or faux dans une étoffe d’or, on doit le pardonner. Il y a beaucoup de pierres brutes dans le grand bâti-

  1. Ce ne sont pas tout à fait les expressions de Montaigne, livre Ier, chapitre xxv.
  2. Satire ix, vers 176.