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BULLE.

condamner à Rome ce livre qui lui était dédié, et dont il faisait un très-grand cas.

Ce jésuite, fils d’un procureur de Vire en basse Normandie, avait dans l’esprit toutes les ressources de la profession de son père. Ce n’était pas assez de commettre le cardinal de Noailles avec le pape, il voulut le faire disgracier par le roi son maître. Pour réussir dans ce dessein, il fit composer par ses émissaires des mandements contre lui, qu’il fit signer par quatre évêques. Il minuta encore des lettres au roi, qu’il leur fit signer.

Ces manœuvres, qui auraient été punies dans tous les tribunaux, réussirent à la cour ; le roi s’aigrit contre le cardinal ; Mme  de Maintenon l’abandonna.

Ce fut une suite d’intrigues dont tout le monde voulut se mêler d’un bout du royaume à l’autre ; et plus la France était malheureuse alors dans une guerre funeste, plus les esprits s’échauffaient pour une querelle de théologie.

Pendant ces mouvements, Le Tellier fit demander à Rome par Louis XIV lui-même la condamnation du livre de Quesnel, dont ce monarque n’avait jamais lu une page. Le Tellier, et deux autres jésuites, nommés Doucin et Lallemant, extrairent cent trois propositions que le pape Clément XI devait condamner ; la cour de Rome en retrancha deux, pour avoir du moins l’honneur de paraître juger par elle-même.

Le cardinal Fabroni, chargé de cette affaire, et livré aux jésuites, fit dresser la bulle par un cordelier nommé frère Palerme, Élie capucin, le barnabite Terrovi, le servite Castelli, et même un jésuite nommé Alfaro.

Le pape Clément XI les laissa faire ; il voulait seulement plaire au roi de France, qu’il avait longtemps indisposé en reconnaissant l’archiduc Charles, depuis empereur, pour roi d’Espagne. Il ne lui en coûtait, pour satisfaire le roi, qu’un morceau de parchemin scellé en plomb, sur une affaire qu’il méprisait lui-même.

Clément XI ne se fit pas prier ; il envoya la bulle, et fut tout étonné d’apprendre qu’elle était reçue presque dans toute la France avec des sifflets et des huées. « Comment donc ! disait-il au cardinal Carpegne, on me demande instamment cette bulle, je la donne de bon cœur, et tout le monde s’en moque ! »

Tout le monde fut surpris en effet de voir un pape, qui, au nom de Jésus-Christ, condamnait comme hérétique, sentant l’hérésie, malsonnante, et offensant les oreilles pieuses, cette proposition : « Il est bon de lire des livres de piété le dimanche, surtout la sainte Écriture ; » et cette autre : « La crainte d’une