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ÉPOPÉE.

C’est un défaut dans lequel Racine et Boileau ne sont presque jamais tombés. Mais combien d’auteurs, combien d’hommes de génie même, se sont laissé séduire par ces puérilités, qui dessèchent et qui énervent tout genre d’éloquence !

En voici, autant que j’en puis juger, un exemple bien frappant. Phénix, au livre neuvième, pour apaiser la colère d’Achille, lui parle à peu près ainsi :

Les Prières, mon fils, devant vous éplorées,
Du souverain des dieux sont les filles sacrées ;
Humbles, le front baissé, les yeux baignés de pleurs,
Leur voix triste et craintive exhale leurs douleurs.
On les voit, d’une marche incertaine et tremblante,
Suivre de loin l’Injure impie et menaçante,
L’Injure au front superbe, au regard sans pitié,
Qui parcourt à grands pas l’univers effrayé.
Elles demandent grâce... et lorsqu’on les refuse,
C’est au trône de Dieu que leur voix vous accuse ;
On les entend crier en lui tendant les bras :
Punissez le cruel qui ne pardonne pas ;
Livrez ce cœur farouche aux affronts de l’Injure ;
Rendez-lui tous les maux qu’il aime qu’on endure ;
Que le barbare apprenne à gémir comme nous.
Jupiter les exauce ; et son juste courroux
S’appesantit bientôt sur l’homme impitoyable.

Voilà une traduction faible, mais assez exacte ; et, malgré la gêne de la rime et la sécheresse de la langue, on aperçoit quelques traits de cette grande et touchante image, si fortement peinte dans l’original.

Que fait le correcteur d’Homère ? Il mutile en deux vers d’antithèses toute cette peinture :

On irrite les dieux ; mais par des sacrifices,
De ces dieux irrités on fait des dieux propices.

(Lamotte-Houdard, Iliade, ch. VI.)

Ce n’est plus qu’une sentence triviale et froide. Il y a sans doute des longueurs dans le discours de Phénix ; mais ce n’était pas la peinture des Prières qu’il fallait retrancher.

Homère a de grands défauts ; Horace l’avoue[1], tous les

  1. . . . . . . Quandoque bonus dormitat Homerus.

    (Ars poet., v. 359.)