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ÉPIGRAMME.

décrié, vous n’avez point cabale contre moi auprès du pape, vous n’avez point tâché de me faire excommunier pour avoir mis des borgnes et des boiteux en paradis, et de succulents cardinaux avec de belles femmes nues comme la main en enfer, dans mon tableau du jugement dernier. Allez, votre envie est très-louable ; vous êtes un brave envieux, soyons bons amis.

Mais si l’envieux est un misérable sans talents, jaloux du mérite comme les gueux le sont des riches ; si, pressé par l’indigence comme par la turpitude de son caractère, il vous fait des Nouvelles du Parnasse[1] des Lettres de madame la comtesse, des Années littéraires[2], cet animal étale une envie qui n’est bonne à rien, et dont Mandeville ne pourra jamais faire l’apologie.

On demande pourquoi les anciens croyaient que l’œil de l’envieux ensorcelait les gens qui le regardaient. Ce sont plutôt les envieux qui sont ensorcelés.

Descartes dit que « l’envie pousse la bile jaune qui vient de la partie inférieure du foie, et la bile noire qui vient de la rate, laquelle se répand du cœur par les artères, etc. » Mais comme nulle espèce de bile ne se forme dans la rate, Descartes, en parlant ainsi, semblait ne pas trop mériter qu’on portât envie à sa physique.

Un certain Voët ou Voëtius, polisson en théologie, qui accusa Descartes d’athéisme, était très-malade de la bile noire ; mais il savait encore moins que Descartes comment sa détestable bile se répandait dans son sang.

Mme Pernelle a raison :

Les envieux mourront, mais non jamais l’envie.

(Tartuffe, acte V, scène iii.)

Mais c’est un bon proverbe, qu’il vaut mieux faire envie que pitié. Faisons donc envie autant que nous pourrons.


ÉPIGRAMME[3].


Ce mot veut dire proprement inscription; ainsi une épigramme devait être courte. Celles de l’Anthologie grecque sont pour la

  1. Le Nouvelliste du Parnasse, 1731, 2 volumes in-12, a pour auteurs les abbés Desfontaines et Granet.
  2. Les Lettres de madame la comtesse *** (1746, in-12, réimprimées dans le tome II des Opuscules de l’auteur, en 1753), et l’Année littéraire, sont de Fréron.
  3. Questions sur l’Encyclopédie, cinquième partie, 1771. (B.)