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ENFER.

trompez : car pour un criminel qui raisonnait juste, il y en avait cent qui ne raisonnaient point du tout. Celui qui, ayant commis un crime, ne se sentait puni ni dans son corps, ni dans celui de son fils, craignait pour son petit-fils. De plus, s’il n’avait pas aujourd’hui quelque ulcère puant, auquel nous étions très-sujets, il en éprouvait dans le cours de quelques années : il y a toujours des malheurs dans une famille, et nous faisions aisément accroire que ces malheurs étaient envoyés par une main divine, vengeresse des fautes secrètes.

Il serait aisé de répliquer à cette réponse, et de dire : Votre excuse ne vaut rien, car il arrive tous les jours que de très-honnêtes gens perdent la santé et leurs biens ; et s’il n’y a point de famille à laquelle il ne soit arrivé des malheurs, si ces malheurs sont des châtiments de Dieu, toutes vos familles étaient donc des familles de fripons.

Le prêtre juif pourrait répliquer encore ; il dirait qu’il y a des malheurs attachés à la nature humaine, et d’autres qui sont envoyés expressément de Dieu. Mais on ferait savoir à ce raisonneur combien il est ridicule de penser que la fièvre et la grêle sont tantôt une punition divine, tantôt un effet naturel.

Enfin, les pharisiens et les esséniens, chez les Juifs, admirent la créance d’un enfer à leur mode : ce dogme avait déjà passé des Grecs aux Romains, et fut adopté par les chrétiens.

Plusieurs Pères de l’Église ne crurent point les peines éternelles ; il leur paraissait absurde de brûler pendant toute l’éternité un pauvre homme pour avoir volé une chèvre. Virgile a beau dire, dans son sixième chant de l’Énéide (vers 617 et 618) :

. . . . . . . . . . Sedet æternumque sedebit
Infelis Theseus.

Il prétend en vain que Thésée est assis pour jamais sur une chaise, et que cette posture est son supplice. D’autres croyaient que Thésée est un héros qui n’est point assis en enfer, et qu’il est dans les champs Élysées.

Il n’y a pas longtemps qu’un théologien calviniste, nommé Petit-Pierre, prêcha et écrivit que les damnés auraient un jour leur grâce[1]. Les autres ministres lui dirent qu’ils n’en voulaient point. La dispute s’échauffa ; on prétend que le roi, leur souve-

  1. Sa brochure est intitulée Apologie de M. Petit-Pierre, sur son système de non-éternité des peines à venir ; 1761, in-12.