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ENCHANTEMENT.

postérité par des vers hexamètres, et par des statues qui représentent Laocoon comme un géant, et ses grands enfants comme des pygmées.

Je conçois que cet événement devait arriver lorsqu’on prenait avec un grand vilain cheval de bois[1] des villes bâties par des dieux, lorsque les fleuves remontaient vers leurs sources, que les eaux étaient changées en sang, et que le soleil et la lune s’arrêtaient à la moindre occasion.

Tout ce qu’on a conté des serpents était très-probable dans des pays où Apollon était descendu du ciel pour tuer le serpent Python.

Ils passèrent aussi pour être très-prudents. Leur prudence consiste à ne pas courir si vite que nous, à se laisser couper en morceaux.

La morsure des serpents, et surtout des vipères, n’est dangereuse que lorsqu’une espèce de rage a fait fermenter un petit réservoir d’une liqueur extrêmement acre, qu’ils ont sous leurs gencives[2]. Hors de là un serpent n’est pas plus dangereux qu’une anguille.

Plusieurs dames ont apprivoisé et nourri des serpents, les ont placés sur leur toilette, et les ont entortillés autour de leurs bras.

Les nègres de Guinée adorent un serpent qui ne fait de mal à personne.

Il y a plusieurs sortes de ces reptiles, et quelques-unes sont plus dangereuses que les autres dans les pays chauds ; mais en général le serpent est un animal craintif et doux ; il n’est pas rare d’en voir qui tettent les vaches.

Les premiers hommes qui virent des gens plus hardis qu’eux apprivoiser et nourrir des serpents, et les faire venir d’un coup de sifflet comme nous appelons les abeilles, prirent ces gens-là pour des sorciers. Les Psylles et les Marses, qui se familiarisèrent avec les serpents, eurent la même réputation. Il ne tiendrait qu’aux apothicaires du Poitou, qui prennent des vipères par la

  1. Le cheval de bois était une machine semblable à ce qu’on appela depuis le bélier. C’était une longue poutre terminée en tête de cheval : elle fut conservée en Grèce, et Pausanias dit qu’il l’a vue. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez l’ouvrage déjà cité de M. Fontana. Il y décrit les vésicules qui contiennent la liqueur jaune de la vipère, la manière dont les dents qui renferment cette vésicule se reproduisent, et la mécanique singulière par laquelle ce suc pénètre dans les blessures. Il est constamment vénéneux, même sans que la vipère soit irritée. (K.)