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ÉLOQUENCE.

ainsi que les trois objets de l’éloquence qu’Aristote considère ; et le grand mérite de l’orateur est de les mêler à propos.

La grande éloquence n’a guère pu en France être connue au barreau, parce qu’elle ne conduit pas aux honneurs comme dans Athènes, dans Rome, et comme aujourd’hui dans Londres, et n’a point pour objet de grands intérêts publics : elle s’est réfugiée dans les oraisons funèbres, où elle tient un peu de la poésie. Bossuet, et après lui Fléchier, semblent avoir obéi à ce précepte de Platon, qui veut que l’élocution d’un orateur soit quelquefois celle même d’un poëte.

L’éloquence de la chaire avait été presque barbare jusqu’au P. Bourdaloue ; il fut un des premiers qui firent parler la raison.

Les Anglais ne vinrent qu’ensuite, comme l’avoue Burnet, évêque de Salisbury. Ils ne connurent point l’oraison funèbre ; ils évitèrent dans les sermons les traits véhéments qui ne leur parurent point convenables à la simplicité de l’Évangile, et ils se défièrent de cette méthode des divisions recherchées, que l’archevêque Fénelon condamne dans ses Dialogues sur l’éloquence.

Quoique nos sermons roulent sur l’objet le plus important à l’homme, cependant il s’y trouve peu de morceaux frappants qui, comme les beaux endroits de Cicéron et de Démosthène, soient devenus les modèles de toutes les nations occidentales. Le lecteur sera pourtant bien aise de trouver ici ce qui arriva la première fois que M. Massillon, depuis évêque de Clermont, prêcha son fameux sermon du petit nombre des élus. Il y eut un endroit où un transport de saisissement s’empara de tout l’auditoire ; presque tout le monde se leva à moitié par un mouvement involontaire ; le murmure d’acclamation et de surprise fut si fort qu’il troubla l’orateur, et ce trouble ne servit qu’à augmenter le pathétique de ce morceau ; le voici : « Je suppose que ce soit ici notre dernière heure à tous, que les cieux vont s’ouvrir sur nos têtes, que le temps est passé, et que l’éternité commence, que Jésus-Christ va paraître pour nous juger selon nos œuvres, et que nous sommes tous ici pour attendre de lui l’arrêt de la vie ou de la mort éternelle : je vous le demande, frappé de terreur comme vous, ne séparant point mon sort du vôtre, et me mettant dans la même situation où nous devons tous paraître un jour devant Dieu notre juge ; si Jésus-Christ, dis-je, paraissait dès à présent pour faire la terrible séparation des justes et des pécheurs, croyez-vous que le plus grand nombre fût sauvé ? croyez-vous que le nombre des justes fût au moins égal à celui des pécheurs ? croyez-vous que s’il faisait maintenant la discus-