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ÉGLISE.

parler à Dieu face à face, furent convaincus, à ce qu’on prétend, de mêler le sang d’un enfant d’un an au pain de l’eucharistie. Ils attirèrent sur les véritables chrétiens ce cruel reproche, qui les exposa aux persécutions.

Voici comme ils s’y prenaient, selon saint Augustin[1] ; ils piquaient avec des épingles tout le corps de l’enfant, ils pétrissaient la farine avec ce sang et en faisaient un pain : s’il en mourait, ils l’honoraient comme un martyr.

Les mœurs étaient si corrompues que les saints Pères ne cessaient de s’en plaindre. Écoutez saint Cyprien, dans son livre des Tombés [2] : « Chaque prêtre, dit-il, court après les biens et les honneurs avec une fureur insatiable. Les évêques sont sans religion, les femmes sans pudeur ; la friponnerie règne ; on jure, on se parjure ; les animosités divisent les chrétiens ; les évêques abandonnent les chaires pour courir aux foires et pour s’enrichir par le négoce ; enfin nous nous plaisons à nous seuls, et nous déplaisons à tout le monde. »

Avant ces scandales, le prêtre Novatien en avait donné un bien funeste aux fidèles de Rome : il fut le premier antipape. L’épiscopat de Rome, quoique secret et exposé à la persécution, était un objet d’ambition et d’avarice par les grandes contributions des chrétiens, et par l’autorité de la place.

Ne répétons point ici ce qui est déposé dans tant d’archives, ce qu’on entend tous les jours dans la bouche des personnes instruites, ce nombre prodigieux de schismes et de guerres ; six cents années de querelles sanglantes entre l’empire et le sacerdoce ; l’argent des nations coulant par mille canaux, tantôt à Rome, tantôt dans Avignon, lorsque les papes y fixèrent leur séjour pendant soixante et douze ans ; et le sang coulant dans toute l’Europe, soit pour l’intérêt d’une tiare si inconnue à Jésus-Christ, soit pour des questions inintelligibles dont il n’a jamais parlé. Notre religion n’en est pas moins vraie, moins sacrée, moins divine, pour avoir été souillée si longtemps dans le crime et plongée dans le carnage.

Quand la fureur de dominer, cette terrible passion du cœur humain, fut parvenue à son dernier excès, lorsque le moine Hildebrand[3] élu contre les lois évêque de Rome, arracha cette

  1. Augustin, De Hœresibus, hœres. xxvi. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez les Œuvres de saint Cyprien, et l’Histoire ecclésiastique de Fleury, tome II, page 168, édition in-12, 1725. (Id.)
  3. Grégoire VII.