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ÉGLISE.

les premiers chrétiens étaient tous égaux, non-seulement comme frères en Jésus-Christ, mais comme également partagés. L’esprit se communiquait également à eux ; ils parlaient également diverses langues ; ils avaient également le don de prophétiser, sans distinction de rang, ni d’âge, ni de sexe.

Les apôtres, qui enseignaient les néophytes, avaient sans doute sur eux cette prééminence naturelle que le précepteur a sur l’écolier ; mais de juridiction, de puissance temporelle, de ce qu’on appelle honneurs dans le monde, de distinction dans l’habillement, de marque de supériorité, ils n’en avaient assurément aucune, ni ceux qui leur succédèrent. Ils possédaient une autre grandeur bien différente : celle de la persuasion.

Les frères mettaient leur argent en commun[1]. Ce furent eux-mêmes qui choisirent sept d’entre eux pour avoir soin des tables et de pourvoir aux nécessités communes. Ils élurent dans Jérusalem même ceux que nous nommons Étienne, Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parmenas, et Nicolas. Ce qu’on peut remarquer, c’est que parmi ces sept élus par la communauté juive il y a six Grecs.

Après les apôtres, on ne trouve aucun exemple d’un chrétien qui ait eu sur les autres chrétiens d’autre pouvoir que celui d’enseigner, d’exhorter, de chasser les démons du corps des énergumènes, de faire des miracles. Tout est spirituel ; rien ne se ressent des pompes du monde. Ce n’est guère que dans le iiie siècle que l’esprit d’orgueil, de vanité, d’intérêt, se manifesta de tous côtés chez les fidèles.

Les agapes étaient déjà de grands festins ; on leur reprochait le luxe et la bonne chère. Tertullien l’avoue[2] : « Oui, dit-il, nous faisons grande chère ; mais dans les mystères d’Athènes et d’Égypte ne fait-on pas bonne chère aussi ? Quelque dépense que nous fassions, elle est utile et pieuse, puisque les pauvres en profitent. — Quantiscumque sumptibus constet, lucrum est pietatis, siquidem inopes refrigerio isto juvamus. »

Dans ce temps-là même, des sociétés de chrétiens qui osaient se dire plus parfaites que les autres, les montanistes par exemple, qui se vantaient de tant de prophéties et d’une morale si austère, qui regardaient les secondes noces comme des adultères, et la fuite de la persécution comme une apostasie, qui avaient si publiquement des convulsions sacrées et des extases, qui prétendaient

  1. Actes des apôtres, chapitre vi, (Note de Voltaire.)
  2. Tertullien, chapitre xxxix. (Id.)