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ÉGLISE.


Malgré ces défenses portées par les lois romaines, Dieu inspira à plusieurs empereurs de l’indulgence pour les chrétiens. Dioclétien même, qui passe chez les ignorants pour un persécuteur, Dioclétien, dont la première année de règne est encore l’époque de l’ère des martyrs, fut, pendant plus de dix-huit ans, le protecteur déclaré du christianisme, au point que plusieurs chrétiens eurent des charges principales auprès de sa personne. Il épousa même une chrétienne ; il souffrit que dans Nicomédie, sa résidence, il y eût une superbe église élevée vis-à-vis son palais.

Le césar Galerius, ayant malheureusement été prévenu contre les chrétiens, dont il croyait avoir à se plaindre, engagea Dioclétien à faire détruire la cathédrale de Nicomédie. Un chrétien plus zélé que sage mit en pièces l’édit de l’empereur ; et de là vint cette persécution si fameuse, dans laquelle il y eut plus de deux cents personnes exécutées à mort dans l’empire romain, sans compter ceux que la fureur du petit peuple, toujours fanatique et toujours barbare, fit périr contre les formes juridiques.

Il y eut en divers temps un si grand nombre de martyrs qu’il faut bien se donner de garde d’ébranler la vérité de l’histoire de ces véritables confesseurs de notre sainte religion, par un mélange dangereux de fables et de faux martyrs.

Le bénédictin dom Ruinart, par exemple, homme d’ailleurs aussi instruit qu’estimable et zélé, aurait dû choisir avec plus de discrétion ses Actes sincères[1]. Ce n’est pas assez qu’un manuscrit soit tiré de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, ou d’un couvent de célestins de Paris, conforme à un manuscrit des feuillants, pour que cet acte soit authentique ; il faut que cet acte soit ancien, écrit par des contemporains, et qu’il porte d’ailleurs tous les caractères de la vérité.

Il aurait pu se passer de rapporter l’aventure du jeune Romanus, arrivée en 303. Ce jeune Romain avait obtenu son pardon de Dioclétien dans Antioche. Cependant il dit que le juge Asclépiade le condamna à être brûlé : des Juifs présents à ce spectacle se moquèrent du jeune saint Romanus, et reprochèrent aux chrétiens que leur Dieu les laissait brûler, lui qui avait délivré Sidrac, Misac et Abdenago, de la fournaise ; qu’aussitôt il s’éleva, dans le temps le plus serein, un orage qui éteignit le feu ; qu’alors le juge ordonna qu’on coupât la langue au jeune

  1. Acta primorum martyrum sincera et selecta, Paris, 1689, in-4o ; traduit en français par Drouet de Maupertuy. Paris, 1708, in-8o. (E. B.)