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ÉGALITÉ.

nances ; il y en a la valeur de quatre-vingts volumes, qui presque toutes se contredisent : je suis obligé, quand je juge, de m’en rapporter au peu de bon sens et d’équité que la nature m’a donné ; et avec ces deux secours je me trompe à presque toutes les audiences.

J’ai un frère qui étudie en théologie pour être grand-vicaire ; il se plaint bien davantage de son éducation : il faut qu’il consume six années à bien statuer s’il y a neuf chœurs d’anges, et quelle est la différence précise entre un trône et une domination ; si le Phison dans le paradis terrestre était à droite ou à gauche du Géhon ; si la langue dans laquelle le serpent eut des conversations avec Ève était la même que celle dont l’ânesse se servit avec Balaam ; comment Melchisédech était né sans père et sans mère ; en quel endroit demeure Énoch, qui n’est point mort ; où sont les chevaux qui transportèrent Élie dans un char de feu, après qu’il eut séparé les eaux du Jourdain avec son manteau, et dans quel temps il doit revenir pour annoncer la fin du monde. Mon frère dit que toutes ces questions l’embarrassent beaucoup, et ne lui ont encore pu procurer un canonicat de Notre-Dame, sur lequel nous comptions.

Vous voyez, entre nous, que la plupart de nos éducations sont ridicules, et que celles qu’on reçoit dans les arts et métiers sont infiniment meilleures.

L’ex-jésuite.

D’accord ; mais je n’ai pas de quoi vivre avec mes quatre cents francs, qui font vingt-deux sous deux deniers par jour ; tandis que tel homme, dont le père allait derrière un carrosse, a trente-six chevaux dans son écurie, quatre cuisiniers, et point d’aumônier.

Le conseiller.

Eh bien ! je vous donne quatre cents autres francs de ma poche : c’est ce que Jean Despautère ne m’avait point enseigné dans mon éducation.


ÉGALITÉ[1].


SECTION PREMIÈRE.


Il est clair que tous les hommes jouissant des facultés attachées à leur nature sont égaux ; ils le sont quand ils s’acquittent

  1. Dans l’édition de 1764 du Dictionnaire philosophique, l’article commençait ainsi :

    « Que doit un chien à un chien, et un cheval à un cheval ? rien, aucun animal ne dépend de son semblable ; mais l’homme ayant reçu le rayon de la divinité qu’on appelle raison, quel en est le fruit ? C’est d’être esclave dans presque toute la terre.

    « Si cette terre, etc. » (Voyez dans la présente page.) — Le début actuel de l’article et sa division en deux sections sont de 1771, Questions sur l’Encyclopédie, cinquième partie. (B.)