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ÉCONOMIE DE PAROLES.

-troisième : « Il est écrit[1] que le monde entier appartient aux fidèles ; et les infidèles n’ont pas une obole qu’ils possèdent légitimement. »

Si sur ce principe deux dépositaires viennent m’assurer qu’ils sont fidèles, et si en cette qualité ils me font banqueroute à moi misérable mondain, il est certain qu’ils seront condamnés par le Châtelet et par le parlement, malgré toute l’économie avec laquelle saint Augustin a parlé.

Saint Irénée prétend[2] qu’il ne faut condamner ni l’inceste des deux filles de Loth avec leur père, ni celui de Thamar avec son beau-père, par la raison que la sainte Écriture ne dit pas expressément que cette action soit criminelle. Cette économie n’empêchera pas que l’inceste parmi nous ne soit puni par les lois. Il est vrai que si Dieu ordonnait expressément à des filles d’engendrer des enfants avec leur père, non-seulement elles seraient innocentes, mais elles deviendraient très-coupables en n’obéissant pas. C’est là où est l’économie d’Irénée ; son but très-louable est de faire respecter tout ce qui est dans les saintes Écritures hébraïques ; mais comme Dieu, qui les a dictées, n’a donné nul éloge aux filles de Loth et à la bru de Juda, il est permis de les condamner.

Tous les premiers chrétiens, sans exception, pensaient sur la guerre comme les esséniens et les thérapeutes, comme pensent et agissent aujourd’hui les primitifs appelés quakers, et les autres primitifs appelés dunkars, comme ont toujours pensé et agi les brachmanes. Tertullien est celui qui s’explique le plus fortement sur ces homicides légaux que notre abominable nature a rendus nécessaires[3] : « Il n’y a point de règle, point d’usage qui puisse rendre légitime cet acte criminel. »

Cependant, après avoir assuré qu’il n’est aucun chrétien qui puisse porter les armes, il dit par économie dans le même livre, pour intimider l’empire romain[4] : « Nous sommes d’hier, et nous remplissons vos villes et vos armées. »

Cela n’était pas vrai, et ne fut vrai que sous Constance Chlore ; mais l’économie exigeait que Tertullien exagérât dans la vue de rendre son parti redoutable.

C’est dans le même esprit qu’il dit[5] que Pilate était chrétien

  1. Cela est écrit dans les Proverbes, chapitre xvii ; mais ce n’est que dans la traduction des Septante, à laquelle toute l’Église s’en tenait alors. (Note de Voltaire.)
  2. Livre IV, chapitre xxv. (Id.)
  3. De l’idolâtrie, chapitre xix. (Id.)
  4. Ibid., chapitre xlii. (Id.)
  5. Apologétique, chapitre xxi. (Id.)