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ÉCONOMIE.

au moins cent pour un à tout intéressé, de tripler tout d’un coup la valeur numéraire des espèces, de rembourser en papier chimérique les dettes et les charges de l’État, et de finir enfin par la défense aussi folle que tyrannique à tout citoyen de garder chez soi plus de cinq cents francs en or ou en argent. Ce comble d’extravagance étant inouï, le bouleversement général fut aussi grand qu’il devait l’être : chacun criait que c’en était fait de la France pour jamais. Au bout de dix ans il n’y paraissait pas.

Un bon pays se rétablit toujours par lui-même, pour peu qu’il soit tolérablement régi : un mauvais ne peut s’enrichir que par une industrie extrême et heureuse.

La proportion sera toujours la même entre l’Espagne, la France, l’Angleterre proprement dite, et la Suède[1]. On compte communément vingt millions d’habitants en France, c’est peut-être trop[2] ; Ustariz n’en admet que sept en Espagne, Nichols en donne huit à l’Angleterre ; on n’en attribue pas cinq à la Suède. L’Espagnol (l’un portant l’autre) a la valeur de quatre-vingts de nos livres à dépenser par an ; le Français, meilleur cultivateur, a cent vingt livres ; l’Anglais, cent quatre-vingts ; le Suédois, cinquante. Si nous voulions parler du Hollandais, nous trouverions qu’il n’a que ce qu’il gagne, parce que ce n’est pas son territoire qui le nourrit et qui l’habille : la Hollande est une foire continuelle, où personne n’est riche que de sa propre industrie ou de celle de son père.

Quelle énorme disproportion entre les fortunes ! un Anglais qui a sept mille guinées de revenu absorbe la subsistance de mille personnes. Ce calcul effraye au premier coup d’œil ; mais au bout de l’année il a réparti ses sept mille guinées dans l’État, et chacun a eu à peu près son contingent.

En général l’homme coûte très-peu à la nature. Dans l’Inde, où les raïas et les nababs entassent tant de trésors, le commun peuple vit pour deux sous par jour tout au plus.

Ceux des Américains qui ne sont sous aucune domination, n’ayant que leurs bras, ne dépensent rien ; la moitié de l’Afrique a toujours vécu de même, et nous ne sommes supérieurs à tous ces hommes-là que d’environ quarante écus par an ; mais ces quarante écus font une prodigieuse différence : c’est elle qui couvre la terre de belles villes, et la mer de vaisseaux,

  1. C’est-à-dire si la législation et l’administration ne changent point : car la France, moins peuplée à proportion que l’Angleterre, peut acquérir une population égale ; l’Espagne, la Suède, peuvent en très-peu de temps doubler leur population. (K.)
  2. Voyez l’article Dénombrement, section II.