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ÉCONOMIE.

Prenons pour exemple l’État où le gouvernement des finances est le plus compliqué, l’Angleterre. Le roi est presque sûr d’avoir toujours un million sterling par an à dépenser pour sa maison, sa table, ses ambassadeurs, et ses plaisirs. Ce million revient tout entier au peuple par la consommation : car si les ambassadeurs dépensent leurs appointements ailleurs, les ministres étrangers consument leur argent à Londres. Tout possesseur de terres est certain de jouir de son revenu, aux taxes près imposées par ses représentants en parlement, c’est-à-dire par lui-même.

Le commerçant joue un jeu de hasard et d’industrie contre presque tout l’univers, et il est longtemps incertain s’il mariera sa fille à un pair du royaume, ou s’il mourra à l’hôpital.

Ceux qui, sans être négociants, placent leur fortune précaire dans les grandes compagnies de commerce, ressemblent parfaitement aux oisifs de la France qui achètent des effets royaux, et dont le sort dépend de la bonne ou mauvaise fortune du gouvernement.

Ceux dont l’unique profession est de vendre et d’acheter des billets publics, sur les nouvelles heureuses ou malheureuses qu’on débite, et de trafiquer la crainte et l’espérance, sont en sous-ordre dans le même cas que les actionnaires ; et tous sont des joueurs, hors le cultivateur qui fournit de quoi jouer.

Une guerre survient ; il faut que le gouvernement emprunte de l’argent comptant, car on ne paye pas des flottes et des armées avec des promesses. La chambre des communes imagine une taxe sur la bière, sur le charbon, sur les cheminées, sur les fenêtres, sur les acres de blé et de pâturage, sur l’importation, etc.

On calcule ce que cet impôt pourra produire à peu près ; toute la nation en est instruite ; un acte du parlement dit aux citoyens : Ceux qui voudront prêter à la patrie recevront quatre pour cent de leur argent pendant dix ans ; au bout desquels ils seront remboursés.

Ce même gouvernement fait un fonds d’amortissement du surplus de ce que produisent les taxes. Ce fonds doit servir à rembourser les créanciers. Le temps du remboursement venu, on leur dit : Voulez-vous votre fonds, ou voulez-vous le laisser à trois pour cent ? Les créanciers, qui croient leur dette assurée, laissent pour la plupart leur argent entre les mains du gouvernement.

Nouvelle guerre, nouveaux emprunts, nouvelles dettes ; le fonds d’amortissement est vide, on ne rembourse rien.

Enfin ce monceau de papier représentatif d’un argent qui