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BRACHMANES, BRAMES.

bêtes, les livres sacrés comme les profanes : et plusieurs les font parler. Il n’est donc pas étonnant que les brachmanes, et les pythagoriciens après eux, aient cru que les âmes passaient successivement dans les corps des bêtes et des hommes. En conséquence ils se persuadèrent, ou du moins ils dirent que les âmes des anges délinquants, pour achever leur purgatoire, appartenaient tantôt à des bêtes, tantôt à des hommes : c’est une partie du roman du jésuite Bougeant, qui imagina que les diables sont des esprits envoyés dans les corps des animaux. Ainsi de nos jours, au bord de l’Occident, un jésuite renouvelle, sans le savoir, un article de la foi des plus anciens prêtres orientaux.


DES HOMMES ET DES FEMMES QUI SE BRÛLENT CHEZ LES BRACHMANES.


Les brames ou bramins d’aujourd’hui, qui sont les mêmes que les anciens brachmanes, ont conservé, comme on sait, cette horrible coutume. D’où vient que chez un peuple qui ne répandit jamais le sang des hommes ni celui des animaux, le plus bel acte de dévotion fut-il et est-il encore de se brûler publiquement ? La superstition, qui allie tous les contraires, est l’unique source de cet affreux sacrifice : coutume beaucoup plus ancienne que les lois d’aucun peuple connu.

Les brames prétendent que Brama leur grand prophète, fils de Dieu, descendit parmi eux, et eut plusieurs femmes ; qu’étant mort, celle de ses femmes qui l’aimait le plus se brûla sur son bûcher pour le rejoindre dans le ciel. Cette femme se brûla-t-elle en effet, comme on prétend que Porcia, femme de Brutus, avala des charbons ardents pour rejoindre son mari ? ou est-ce une fable inventée par les prêtres ? Y eut-il un Brama qui se donna en effet pour un prophète et pour un fils de Dieu ? Il est à croire qu’il y eut un Brama, comme dans la suite on vit des Zoroastres, des Bacchus. La fable s’empara de leur histoire, ce qu’elle a toujours continué de faire partout.

Dès que la femme du fils de Dieu se brûle, il faut bien que des dames de moindre condition se brûlent aussi. Mais comment retrouveront-elles leurs maris qui sont devenus chevaux, éléphants, ou éperviers ? comment démêler précisément la bête que le défunt anime ? comment le reconnaître et être encore sa femme ? Cette difficulté n’embarrasse point les théologiens indous ; ils trouvent aisément des distinguo, des solutions in sensu composito, in sensu diviso. La métempsycose n’est que pour les personnes