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DRUIDES.
Alecton

Qu’on m’étrille vigoureusement ce Calchas, qui vers nous s’est avancé

L’œil farouche, l’air sombre, et le poil hérissé[1].
Calchas.

On m’arrache le poil, on me brûle, on me berne, on m’écorche, on m’empale.

Alecton.

Scélérat ! égorgeras-tu encore une jeune fille au lieu de la marier, et le tout pour avoir du vent ?

Calchas et le druide.

Ah ! quels tourments ! que de peines ! et point mourir !

Alecton et Tisiphone.

Ah ! ah ! j’entends de la musique. Dieu me pardonne ! c’est Orphée ; nos serpents sont devenus doux comme des moutons.

Calchas.

Je ne souffre plus du tout ; voilà qui est bien étrange !

Le druide.

Je suis tout ragaillardi. Oh ! la grande puissance de la bonne musique ! Eh ! qui es-tu, homme divin, qui guéris les blessures et qui réjouis l’enfer ?

Orphée.

Mes camarades, je suis prêtre comme vous ; mais je n’ai jamais trompé personne, et je n’ai égorgé ni garçon ni fille. Lorsque j’étais sur la terre, au lieu de faire abhorrer les dieux, je les ai fait aimer ; j’ai adouci les mœurs des hommes, que vous rendiez féroces ; je fais le même métier dans les enfers. J’ai rencontré là-bas deux barbares prêtres qu’on fessait à toute outrance : l’un avait autrefois haché un roi en morceaux, l’autre avait fait couper la tête à sa propre reine, à la Porte-aux-Chevaux. J’ai fini leur pénitence, je leur ai joué du violon ; ils m’ont promis que quand ils reviendraient au monde ils vivraient en honnêtes gens.

Le druide et Calchas.

Nous vous en promettons autant, foi de prêtres.

Orphée.

Oui, mais passalo il pericolo, gabbato il santo.

(La scène finit par une danse figurée d’Orphée, des damnes et des furies, et par une symphonie très-agréable.)
  1. Iphigénie, de Racine, acte V, scène dernière. (Note de Voltaire.)