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DOGMES.



DOGMES[1].


On sait que toute croyance enseignée par l’Église est un dogme qu’il faut embrasser. Il est triste qu’il y ait des dogmes reçus par l’Église latine, et rejetés par l’Église grecque. Mais si l’unanimité manque, la charité la remplace : c’est surtout entre les cœurs qu’il faudrait de la réunion.

Je crois que nous pouvons, à ce propos, rapporter un songe qui a déjà trouvé grâce devant quelques personnes pacifiques.

Le 18 février de l’an 1763 de l’ère vulgaire, le soleil entrant dans le signe des poissons, je fus transporté au ciel, comme le savent tous mes amis. Ce ne fut point la jument Borac de Mahomet qui fut ma monture ; ce ne fut point le char enflammé d’Élie qui fut ma voiture ; je ne fus porté ni sur l’éléphant de Sammonocodom le Siamois, ni sur le cheval de saint George, patron de l’Angleterre, ni sur le cochon de saint Antoine : j’avoue avec ingénuité que mon voyage se fit je ne sais comment.

On croira bien que je fus ébloui ; mais ce qu’on ne croira pas, c’est que je vis juger tous les morts. Et qui étaient les juges ? C’était, ne vous en déplaise, tous ceux qui ont fait du bien aux hommes, Confucius, Solon, Socrate, Titus, les Antonins, Épictète, Charron, de Thou, le chancelier de L’Hospital ; tous les grands hommes qui, ayant enseigné et pratiqué les vertus que Dieu exige, semblent seuls être en droit de prononcer ses arrêts.

Je ne dirai point sur quels trônes ils étaient assis, ni combien de millions d’êtres célestes étaient prosternés devant l’éternel architecte de tous les globes, ni quelle foule d’habitants de ces globes innombrables comparut devant les juges. Je ne rendrai compte ici que de quelques petites particularités tout à fait intéressantes dont je fus frappé.

Je remarquai que chaque mort qui plaidait sa cause, et qui étalait ses beaux sentiments, avait à côté de lui tous les témoins de ses actions. Par exemple, quand le cardinal de Lorraine se vantait d’avoir fait adopter quelques-unes de ses opinions par le concile de Trente, et que, pour prix de son orthodoxie, il demandait la vie éternelle, tout aussitôt paraissaient autour de lui

  1. Article ajouté dans l’édition de 1765 du Dictionnaire philosophique. II commençait par le troisième alinéa : « Le 18 février, etc. « Les deux premiers alinéas sont de 1771, Questions sur l’Encyclopédie, quatrième partie. (B.)