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DISPUTE.



DISCOURS EN VERS SUR LES DISPUTES,


par de Rulhières.


Vingt têtes, vingt avis ; nouvel an, nouveau goût ;
Autre ville, autres mœurs ; tout change, ou détruit tout.
Examine pour toi ce que ton voisin pense :
Le plus beau droit de l’homme est cette indépendance ;
Mais ne dispute point ; les desseins éternels,
Cachés au sein de Dieu, sont trop loin des mortels.
Le peu que nous savons d’une façon certaine,
Frivole comme nous, ne vaut pas tant de peine.
Le monde est plein d’erreurs ; mais de là je conclus
Que prêcher la raison n’est qu’une erreur de plus.

En parcourant au loin la planète où nous sommes,
Que verrons-nous ? Les torts et les travers des hommes.
Ici c’est un synode, et là c’est un divan ;
Nous verrons le mufti, le derviche, l’iman,
Le bonze, le lama, le talapoin, le pope,
Les antiques rabbins, et les abbés d’Europe,
Nos moines, nos prélats, nos docteurs agrégés :
Êtes-vous disputeurs, mes amis ? Voyagez.

Qu’un jeune ambitieux ait ravagé la terre ;
Qu’un regard de Vénus ait allumé la guerre ;
Qu’à Paris, au Palais, l’honnête citoyen
Plaide pendant vingt ans pour un mur mitoyen ;
Qu’au fond d’un diocèse un vieux prêtre gémisse
Quand un abbé de cour enlève un bénéfice ;
Et que, dans le parterre, un poëte envieux
Ait, en battant des mains, un feu noir dans les yeux ;
Tel est le cœur humain ; mais l’ardeur insensée
D’asservir ses voisins à sa propre pensée,
Comment la concevoir ? Pourquoi, par quel moyen
Veux-tu que ton esprit soit la règle du mien ?

Je hais surtout, je hais tout causeur incommode,
Tous ces demi-savants gouvernés par la mode.
Ces gens qui, pleins de feu, peut-être pleins d’esprit,
Soutiendront contre vous ce que vous aurez dit ;
Un peu musiciens, philosophes, poëtes,
Et grands hommes d’État formés par les gazettes ;
Sachant tout, lisant tout, prompts à parler de tout
Et qui contrediraient Voltaire sur le goût,