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DIOCLÉTIEN.

Marcel d’en manger ; le christianisme ne lui ordonnait point de donner l’exemple de la sédition, et il n’y a point de pays au monde où l’on ne punît une action si téméraire.

Cependant depuis l’aventure de Marcel, il ne paraît pas qu’on ait recherché les chrétiens jusqu’à l’an 303. Ils avaient à Nicomédie une superbe église cathédrale vis-à-vis le palais, et même beaucoup plus élevée. Les historiens ne nous disent point les raisons pour lesquelles Galère demanda instamment à Dioclétien qu’on abattît cette église ; mais ils nous apprennent que Dioclétien fut très-longtemps à se déterminer : il résista près d’une année. Il est bien étrange qu’après cela ce soit lui qu’on appelle persécuteur. Enfin, en 303, l’église fut abattue ; et on afficha un édit par lequel les chrétiens seraient privés de tout honneur et de toute dignité. Puisqu’on les en privait, il est évident qu’ils en avaient. Un chrétien arracha et mit en pièces publiquement l’édit impérial : ce n’était pas là un acte de religion ; c’était un emportement de révolte. Il est donc très-vraisemblable qu’un zèle indiscret, qui n’était pas selon la science, attira cette persécution funeste. Quelque temps après, le palais de Galère brûla ; il en accusa les chrétiens et ceux-ci accusèrent Galère d’avoir mis le feu lui-même à son palais pour avoir un prétexte de les calomnier. L’accusation de Galère paraît fort injuste : celle qu’on intente contre lui ne l’est pas moins, car l’édit étant déjà porté, de quel nouveau prétexte avait-il besoin ? S’il avait fallu en effet une nouvelle raison pour engager Dioclétien à persécuter, ce serait seulement une nouvelle preuve de la peine qu’eut Dioclétien à abandonner les chrétiens, qu’il avait toujours protégés : cela ferait voir évidemment qu’il avait fallu de nouveaux ressorts pour le déterminer à la violence.

Il paraît certain qu’il y eut beaucoup de chrétiens tourmentés dans l’empire ; mais il est difficile de concilier avec les lois romaines tous ces tourments recherchés, toutes ces mutilations, ces langues arrachées, ces membres coupés et grillés, et tous ces attentats à la pudeur, faits publiquement contre l’honnêteté publique. Aucune loi romaine n’ordonna jamais de tels supplices. Il se peut que l’aversion des peuples contre les chrétiens les ait portés à des excès horribles ; mais on ne trouve nulle part que ces excès aient été ordonnés par les empereurs ni par le sénat.

[1] Il est bien vraisemblable que la juste douleur des chrétiens se répandit en plaintes exagérées. Les Actes sincères nous racontent

  1. Voyez, dans les Éclaircissements historiques (Mélanges, année 1763), la quatrième sottise de Nonotte.