Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
372
DIEU, DIEUX.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

risque tout. Aussi l’auteur lui-même en vingt endroits veut qu’on sacrifie tout à la vertu ; et il n’avance cette proposition que pour donner dans son système une nouvelle preuve de la nécessité d’être vertueux.

[1] « Ceux qui rejettent avec tant de raison les idées innées auraient dû sentir que cette intelligence ineffable que l’on place au gouvernail du monde, et dont nos sens ne peuvent constater ni l’existence ni les qualités, est un être de raison. »

En vérité, de ce que nous n’avons point d’idées innées, comment s’ensuit-il qu’il n’y a point de Dieu ? cette conséquence n’est-elle pas absurde ? y a-t-il quelque contradiction à dire que Dieu nous donne des idées par nos sens ? n’est-il pas au contraire de la plus grande évidence que s’il est un être tout-puissant dont nous tenons la vie, nous lui devons nos idées et nos sens comme tout le reste ? Il faudrait avoir prouvé auparavant que Dieu n’existe pas, et c’est ce que l’auteur n’a point fait ; c’est même ce qu’il n’a pas encore tenté de faire jusqu’à cette page du chapitre X.

Dans la crainte de fatiguer les lecteurs par l’examen de tous ces morceaux détachés, je viens au fondement du livre, et à l’erreur étonnante sur laquelle il a élevé son système. Je dois absolument répéter ici ce qu’on a dit ailleurs.


Histoire des anguilles sur lesquelles est fondé le système.


Il y avait en France, vers l’an 1750, un jésuite anglais nommé Needham[2], déguisé en séculier, qui servait alors de précepteur

  1. Page 167. (Note de Voltaire.)
  2. Jean Turberville Needham, né à Londres, en 1713, de parents catholiques, et voué au sacerdoce, publia ses découvertes microscopiques à l’âge de trente-deux ans. Dans un voyage à Paris, il rencontra Buffon qui s’occupait des animaux infusoires et spermatiques. Buffon se l’associa, et les recherches qu’ils firent ensemble avec le microscope de l’Anglais furent publiées dans le tome II de l’édition in-4º de l’Histoire naturelle, au chapitre vi (Expériences au sujet de la génération). Le principal ouvrage de Needham a pour titre : Nouvelles Observations microscopiques. L’auteur y étudie non-seulement les anguilles, mais encore la pieuvre, dont M. Victor Hugo a décrit les mœurs d’une façon si fantaisiste. Pendant que les philosophes naturalistes s’emparaient des découvertes de Needham pour en faire la base de leur système, Needham s’efforçait de prouver que l’hypothèse de la génération spontanée était en parfait accord avec les croyances religieuses. C’est ainsi qu’il dit que l’homme a surgi de la matière à la voix du Créateur, par acte de génération spontanée, et qu’Ève n’a été qu’une expansion subite du corps d’Adam, se détachant de son mari comme un jeune polype se détache d’un polype mère. Il s’attaqua même à Voltaire sur la question des miracles. Needham mourut, en 1781, à Bruxelles, où l’impératrice Marie-Thérèse l’avait appelé, dès 1765, pour faire partie de l’Académie de cette ville. (G. A.)

    — Voltaire avait déjà parlé de Needham et de ses anguilles dans le chapitre xx des Singularités de la nature. Voyez Mélanges, année 1768.