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DIEU, DIEUX.

tence, et pour animer la connaissance qu’il a de lui-même par celle d’une infinité de choses éloignées, semble avoir exprès négligé de lui donner des moyens pour bien connaître celles dont il est obligé de faire un usage plus ordinaire, et même les individus de sa propre espèce. Cependant, à le bien prendre, c’est moins l’effet d’un refus que celui d’une extrême libéralité, puisque s’il y avait quelque être intelligent qui en pût pénétrer un autre contre son gré, il jouirait d’un tel avantage au-dessus de lui que, par cela même, il serait exclu de sa société ; au lieu que, dans l’état présent, chaque individu, jouissant de lui-même avec une pleine indépendance, ne se communique qu’autant qu’il lui convient. »

Que conclurai-je de là ? que Spinosa se contredit souvent ; qu’il n’avait pas toujours des idées nettes ; que dans le grand naufrage des systèmes il se sauvait tantôt sur une planche, tantôt sur une autre ; qu’il ressemblait, par cette faiblesse, à Malebranche, à Arnauld, à Bossuet, à Claude, qui se sont contredits quelquefois dans leurs disputes ; qu’il était comme tant de métaphysiciens et de théologiens. Je conclurai que je dois me défier à plus forte raison de toutes mes idées en métaphysique ; que je suis un animal très-faible, marchant sur des sables mouvants qui se dérobent continuellement sous moi, et qu’il n’y a peut-être rien de si fou que de croire avoir toujours raison.

Vous êtes très-confus, Baruch[1] Spinosa ; mais êtes-vous aussi dangereux qu’on le dit ? Je soutiens que non : et ma raison, c’est que vous êtes confus, que vous avez écrit en mauvais latin, et qu’il n’y a pas dix personnes en Europe qui vous lisent d’un bout à l’autre, quoiqu’on vous ait traduit en français. Quel est l’auteur dangereux ? c’est celui qui est lu par les oisifs de la cour et par les dames.


SECTION IV[2].


Du système de la nature[3].


L’auteur du Système de la nature a eu l’avantage de se faire lire des savants, des ignorants, des femmes ; il a donc dans le style

  1. Il s’appelle Baruch et non Benoît, car il ne fut jamais baptisé. (Note de Voltaire.)
  2. Troisième section de l’article dans les Questions sur l’Encyclopédie, quatrième partie, 1771. (B.)
  3. Le Système de la nature, ou des lois du monde physique et du monde moral, publié sous le nom de Mirabaud, mais composé par le baron d’Holbach, 1770, deux volumes in-8o. Naigeon, qui en fut l’éditeur, y ajouta un Avis. Une édition de 1820, en deux volumes in-8o, contient des notes et des corrections de Diderot. (B.)