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DIEU, DIEUX.


« C’est celui dont nous adorons sous divers noms la puissance répandue dans toutes les parties du monde. Ainsi, en honorant séparément, par diverses sortes de culte, ce qui est comme ses divers membres, nous l’adorons tout entier... Qu’ils vous conservent ces dieux subalternes, sous le nom desquels et par lesquels, tous tant que nous sommes de mortels sur la terre, nous adorons le père commun des dieux et des hommes, par différentes sortes de culte à la vérité, mais qui, dans leur variété, s’accordent et ne tendent qu’à la même fin ! »

Qui écrivait cette lettre ? un Numide, un homme du pays d’Alger.


Réponse d’Augustin.


« Il y a dans votre place publique deux statues de Mars, nu dans l’une, et armé dans l’autre, et tout auprès, une figure d’un homme, qui, avec trois doigts qu’il avance vers celle de Mars, tient en bride cette divinité malencontreuse à toute la ville... Sur ce que vous me dites que de pareils dieux sont comme les membres du seul véritable Dieu, je vous avertis avec toute la liberté que vous me donnez de prendre bien garde à ne pas tomber dans ces railleries sacriléges : car ce seul Dieu dont vous parlez est, sans doute, celui qui est reconnu de tout le monde, et sur lequel les ignorants conviennent avec les savants, comme quelques anciens ont dit. Or direz-vous que celui dont la force, pour ne pas dire la cruauté, est réprimée par la figure d’un homme mort, soit un membre de celui-là ? Il me serait aisé de vous pousser sur ce sujet, car vous voyez bien ce qu’on pourrait dire contre cela ; mais je me retiens, de peur que vous ne disiez que ce sont les armes de la rhétorique que j’emploie contre vous plutôt que celles de la vérité[1]. »

Nous ne savons pas ce que signifiaient ces deux statues dont il ne reste aucun vestige ; mais toutes les statues dont Rome était remplie, le Panthéon et tous les temples consacrés à tous les dieux subalternes, et même aux douze grands dieux, n’empêchèrent jamais que Deus optimus maximus, Dieu très-bon et très-grand, ne fût reconnu dans tout l’empire.

Le malheur des Romains était donc d’avoir ignoré la loi mosaïque, et ensuite d’ignorer la loi des disciples de notre Sauveur Jésus-Christ, de n’avoir pas eu la foi, d’avoir mêlé au culte d’un

  1. Traduction de Dubois, précepteur du dernier duc de Guise. (Note de Voltaire.)