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DIEU, DIEUX.

entières, des écoles très-éclairées ont bien admis deux dieux dans ce monde-ci : l’un la source du bien, l’autre la source du mal. Ils ont admis une guerre interminable entre deux puissances égales. Certes la nature peut plus aisément souffrir dans l’immensité de l’espace plusieurs êtres indépendants, maîtres absolus chacun dans leur étendue, que deux dieux bornés et impuissants dans ce monde, dont l’un ne peut faire le bien, et l’autre ne peut faire le mal.

Si Dieu et la matière existent de toute éternité, comme l’antiquité l’a cru, voilà deux êtres nécessaires ; or, s’il y a deux êtres nécessaires, il peut y en avoir trente. Ces seuls doutes, qui sont le germe d’une infinité de réflexions, servent au moins à nous convaincre de la faiblesse de notre entendement. Il faut que nous confessions notre ignorance sur la nature de la Divinité avec Cicéron. Nous n’en saurons jamais plus que lui.

Les écoles ont beau nous dire que Dieu est infini négativement et non privativement, formaliter et non materialiter ; qu’il est le premier, le moyen et le dernier acte ; qu’il est partout sans être dans aucun lieu ; cent pages de commentaires sur de pareilles définitions ne peuvent nous donner la moindre lumière. Nous n’avons ni degré, ni point d’appui pour monter à de telles connaissances. Nous sentons que nous sommes sous la main d’un être invisible : c’est tout, et nous ne pouvons faire un pas au delà. Il y a une témérité insensée à vouloir deviner ce que c’est que cet être, s’il est étendu ou non, s’il existe dans un lieu ou non, comment il existe, comment il opère[1].


SECTION II[2].


Je crains toujours de me tromper ; mais tous les monuments me font voir avec évidence que les anciens peuples policés reconnaissaient un Dieu suprême. Il n’y a pas un seul livre, une médaille, un bas-relief, une inscription, où il soit parlé de Junon, de Minerve, de Neptune, de Mars, et des autres dieux, comme d’un être formateur, souverain de toute la nature. Au contraire, les plus anciens livres profanes que nous ayons, Hésiode et Homère, représentent leur Zeus comme seul lançant la foudre, comme seul maître des dieux et des hommes ; il punit même les

  1. Voyez l’article Infini. (Note de Voltaire.)
  2. Première section dans les Questions sur l’Encyclopédie, quatrième partie, 1771. (B.)