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DIEU, DIEUX.

breux qui décèlent à tout moment l’opinion où étaient les Juifs, que les dieux de leurs ennemis existaient, mais que le dieu des Juifs leur était supérieur.

Cependant il y eut des prêtres, des mages, des philosophes, dans les grands États où la société perfectionnée pouvait comporter des hommes oisifs, occupés de spéculations.

Quelques-uns d’entre eux perfectionnèrent leur raison jusqu’à reconnaître en secret un Dieu unique et universel. Ainsi, quoique chez les anciens Égyptiens on adorât Osiri, Osiris, ou plutôt Osireth (qui signifie cette terre est à moi) ; quoiqu’ils adorassent encore d’autres êtres supérieurs, cependant ils admettaient un dieu suprême, un principe unique, qu’ils appelaient Knef et dont le symbole était une sphère posée sur le frontispice du temple.

Sur ce modèle les Grecs eurent leur Zeus, leur Jupiter, maître des autres dieux, qui n’étaient que ce que sont les anges chez les Babyloniens et chez les Hébreux, et les saints chez les chrétiens de la communion romaine.

C’est une question plus épineuse qu’on ne pense, et très-peu approfondie, si plusieurs dieux égaux en puissance pourraient subsister à la fois.

Nous n’avons aucune notion adéquate de la Divinité, nous nous traînons seulement de soupçons en soupçons, de vraisemblances en probabilités. Nous arrivons à un très-petit nombre de certitudes. Il y a quelque chose, donc il y a quelque chose d’éternel, car rien n’est produit de rien. Voilà une vérité certaine sur laquelle votre esprit se repose. Tout ouvrage qui nous montre des moyens et une fin annonce un ouvrier ; donc cet univers, composé de ressorts, de moyens dont chacun a sa fin, découvre un ouvrier très-puissant, très-intelligent. Voilà une probabilité qui approche de la plus grande certitude ; mais cet artisan suprême est-il infini ? est-il partout ? est-il en un lieu ? comment répondre à cette question avec notre intelligence bornée et nos faibles connaissances ?

Ma seule raison me prouve un être qui a arrangé la matière de ce monde ; mais ma raison est impuissante à me prouver qu’il ait fait cette matière, qu’il l’ait tirée du néant. Tous les sages de l’antiquité, sans aucune exception, ont cru la matière éternelle et subsistante par elle-même. Tout ce que je puis faire sans le secours d’une lumière supérieure, c’est donc de croire que le Dieu de ce monde est aussi éternel et existant par lui-même. Dieu et la matière existent par la nature des choses. D’autres dieux ainsi que d’autres mondes ne subsisteraient-ils pas ? Des nations