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DÉVOT.

ner mal ; d’autres, à ne point raisonner du tout ; d’autres, à persécuter ceux qui raisonnent[1].

Quelques-uns vous disent : Ne croyez pas au fatalisme, car alors, tout vous paraissant inévitable, vous ne travaillerez à rien, vous croupirez dans l’indifférence, vous n’aimerez ni les richesses, ni les honneurs, ni les louanges ; vous ne voudrez rien acquérir, vous vous croirez sans mérite comme sans pouvoir ; aucun talent ne sera cultivé, tout périra par l’apathie.

Ne craignez rien, messieurs, nous aurons toujours des passions et des préjugés, puisque c’est notre destinée d’être soumis aux préjugés et aux passions ; nous saurons bien qu’il ne dépend pas plus de nous d’avoir beaucoup de mérite et de grands talents que d’avoir les cheveux bien plantés et la main belle ; nous serons convaincus qu’il ne faut tirer vanité de rien, et cependant nous aurons toujours de la vanité.

J’ai nécessairement la passion d’écrire ceci ; et toi, tu as la passion de me condamner : nous sommes tous deux également sots, également les jouets de la destinée. Ta nature est de faire du mal ; la mienne est d’aimer la vérité, et de la publier malgré toi.

Le hibou, qui se nourrit de souris dans sa masure, a dit au rossignol : Cesse de chanter sous tes beaux ombrages, viens dans mon trou, afin que je t’y dévore ; et le rossignol a répondu : Je suis né pour chanter ici, et pour me moquer de toi.

Vous me demandez ce que deviendra la liberté. Je ne vous entends pas. Je ne sais ce que c’est que cette liberté dont vous parlez ; il y a si longtemps que vous disputez sur sa nature qu’assurément vous ne la connaissez pas. Si vous voulez, ou plutôt, si vous pouvez examiner paisiblement avec moi ce que c’est, passez à la lettre L.


DÉVOT[2].


L’Évangile au chrétien ne dit en aucun lieu :
Sois dévot ; elle dit : Sois doux, simple, équitable ;
Car d’un dévot souvent au chrétien véritable
La distance est deux fois plus longue, à mon avis,
Que du pôle antarctique au détroit de Davis.

(Boileau, sat. XI, vers 112-116.)

  1. Dans l’édition de 1764 du Dictionnaire philosophique venait ici le dernier alinéa (vous me demandez) qui terminait aussi l’article. L’addition est de 1771. (B.)
  2. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B)