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DESTIN.

On compte environ neuf à dix millions d’êtres libres dans les trois royaumes de la Grande-Bretagne.

On balance en France entre seize et vingt millions[1]. C’est une preuve que le docteur Gad n’a rien à reprocher au ministère de France. Quant aux villes capitales, les opinions sont encore partagées. Paris, selon quelques calculateurs, a sept cent mille habitants, et, selon d’autres, cinq cent. Il en est ainsi de Londres, de Constantinople, du Grand-Caire[2].

Pour les sujets du pape, ils feront la foule en paradis ; mais la foule est médiocre sur la terre. Pourquoi cela ? C’est qu’ils sont sujets du pape. Caton le Censeur aurait-il jamais cru que les Romains en viendraient là[3] ?


DESTIN.[4]


De tous les livres de l’Occident qui sont parvenus jusqu’à nous le plus ancien est Homère ; c’est là qu’on trouve les mœurs de l’antiquité profane, des héros grossiers, des dieux grossiers faits à l’image de l’homme ; mais c’est là que, parmi les rêveries et les inconséquences, on trouve aussi les semences de la philosophie, et surtout l’idée du destin qui est maître des dieux, comme les dieux sont les maîtres du monde.

[5] Quand le magnanime Hector veut absolument combattre le magnanime Achille, et que pour cet effet il se met à fuir de toutes ses forces, et fait trois fois le tour de la ville avant de combattre, afin d’avoir plus de vigueur ; quand Homère compare Achille aux pieds légers qui le poursuit, à un homme qui dort ; quand Mme  Dacier s’extasie d’admiration sur l’art et le grand sens de ce passage, alors Jupiter veut sauver le grand Hector qui lui a fait tant de sacrifices, et il consulte les destinées ; il pèse dans une balance

  1. La population de la France s’élève aujourd’hui à trente-sept millions (1878).
  2. Il n’est pas sans intérêt de comparer les chiffres indiqués par Voltaire avec ceux des plus récentes statistiques (1866), qui donnent pour la Russie européenne 60 millions ; pour l’Allemagne, 50 millions ; pour l’Espagne, 15 millions ; pour l’Angleterre, 27 millions ; pour la France, 36 millions ; pour Paris, 1,825,274 ; pour Londres, d’après le Kelly’s post office Guide, 2,800,000 ; pour Constantinople, 650,000 ; pour le Caire, 300,000 seulement. (E. B.)
  3. Voyez l’article Population. (Note de Voltaire.)
  4. Dictionnaire philosophique, 1764 ; et Questions sur l’Encyclopédie, 1771. (B.)
  5. Les premières lignes de cet alinéa n’existaient pas en 1764 ; on lisait alors : « Jupiter veut en vain sauver Hector ; il consulte les destinées, etc. » La nouvelle version date des Questions sur l’Encyclopédie, quatrième partie, 1771. (B.)