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BOUFFON.

bouffon, pour exprimer un mauvais plaisant qui ne vous fait pas rire.

Bouffon, bouffonnerie, appartiennent au bas comique, à la Foire, à Gilles, à tout ce qui peut amuser la populace. C’est par là que les tragédies ont commencé, à la honte de l’esprit humain. Thespis fut un bouffon avant que Sophocle fût un grand homme.

Aux XVIe et XVIIe siècles, les tragédies espagnoles et anglaises furent toutes avilies par des bouffonneries dégoûtantes[1].

Les cours furent encore plus déshonorées par les bouffons que le théâtre. La rouille de la barbarie était si forte que les hommes ne savaient pas goûter des plaisirs honnêtes.

Boileau (Art poétique, ch. III, 393-400) a dit de Molière :

C’est par là que Molière, illustrant ses écrits,
Peut-être de son art eut remporté le prix
Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures
Il n’eût point fait souvent grimacer ses figures,
Quitté pour le bouffon l’agréable et le fin,
Et sans honte à Térence allié Tabarin.
Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe[2],
Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope.

Mais il faut considérer que Raphael a daigné peindre des grotesques. Molière ne serait point descendu si bas s’il n’eût eu pour spectateurs que des Louis XIV, des Condé, des Turenne, des ducs de La Rochefoucauld, des Montausier, des Beauvilliers, des dames de Montespan et de Thiange ; mais il travaillait aussi pour le peuple de Paris, qui n’était pas encore décrassé ; le bourgeois aimait la grosse farce, et la payait[3]. Les Jodelets de Scarron étaient à la mode. On est obligé de se mettre au niveau de son siècle avant

  1. Voyez Art dramatique. (Note de Voltaire.)
  2. Il n’existe aucune édition de Boileau qui ne porte s’enveloppe ; mais M. P. Lami croit que c’est une faute d’impression qui, de la première édition, a passé dans toutes les autres. Il propose de lire : l’enveloppe. Voyez ses Observations sur la tragédie romantique, 1824, in-8o, page 16. (B.)

    — Le fait avéré que Molière remplissait le rôle de Scapin dans sa pièce et non celui de Géronte donne tort à la proposition de P. Lami. Voyez Œuvres complètes de Molière, nouvelle édition, par M. Louis Moland, Paris, Garnier frères, tome VI, page 416.

  3. « Pour défendre Molière du reproche que lui adresse Boileau, dit M. Bazin, on a souvent allégué la nécessité où il était de plaire aux plus humbles spectateurs par des farces ; et l’on a oublié que, sauf les Fourberies de Scapin et le Médecin malgré lui, toutes ses pièces bouffonnes ont été faites pour la cour, tandis que toutes ses comédies sérieuses ont été offertes d’abord au public : ce qui déplace entièrement le blâme et l’excuse. »