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DÉMOCRATIE.


Enfin ce qu’on ne pardonne point aux Athéniens, c’est la mort de leurs six généraux victorieux, condamnés pour n’avoir pas eu le temps d’enterrer leurs morts après la victoire, et pour en avoir été empêchés par une tempête. Cet arrêt est à la fois si ridicule et si barbare, il porte un tel caractère de superstition et d’ingratitude, que ceux de l’Inquisition, ceux qui furent rendus contre Urbain Grandier et contre la maréchale d’Ancre, contre Morin, contre tant de sorciers, etc., ne sont pas des inepties plus atroces.

On a beau dire, pour excuser les Athéniens, qu’ils croyaient, d’après Homère, que les âmes des morts étaient toujours errantes, à moins qu’elles n’eussent reçu les honneurs de la sépulture ou du bûcher : une sottise n’excuse point une barbarie.

Le grand mal que les âmes de quelques Grecs se fussent promenées une semaine ou deux au bord de la mer ! Le mal est de livrer des vivants aux bourreaux, et des vivants qui vous ont gagné une bataille, des vivants que vous deviez remercier à genoux.

Voilà donc les Athéniens convaincus d’avoir été les plus sots et les plus barbares juges de la terre.

Mais il faut mettre à présent dans la balance les crimes de la cour de Macédoine ; on verra que cette cour l’emporte prodigieusement sur Athènes en fait de tyrannie et de scélératesse.

Il n’y a d’ordinaire nulle comparaison à faire entre les crimes des grands, qui sont toujours ambitieux, et les crimes du peuple, qui ne veut jamais, et qui ne peut vouloir que la liberté et l’égalité. Ces deux sentiments liberté et égalité ne conduisent point droit à la calomnie, à la rapine, à l’assassinat, à l’empoisonnement, à la dévastation des terres de ses voisins, etc. ; mais la grandeur ambitieuse et la rage du pouvoir précipitent dans tous ces crimes en tous temps et en tous lieux.

On ne voit dans cette Macédoine, dont Bayle oppose la vertu à celle d’Athènes, qu’un tissu de crimes épouvantables pendant deux cents années de suite.

C’est Ptolémée, oncle d’Alexandre le Grand, qui assassine son frère Alexandre pour usurper le royaume.

C’est Philippe, son frère, qui passe sa vie à tromper et à violer[1] et qui finit par être poignardé par Pausanias.

  1. L’édition originale de 1770, celle de 1771, l’in-4°, l’encadrée, l’in-8° de Kehl, portent : à tromper et à violer. L’errata de Kehl, tome LXX, dit de mettre voler. L’édition in-12 de Kehl porte en effet voler. Mais le rédacteur de l’errata de Kehl, qui m’a communiqué un errata manuscrit, y dit de mettre la leçon que j’ai suivie, et ajoute : « Il y a erreur dans l’errata général ; » c’est ainsi qu’il appelle l’errata imprimé. (B.)