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DÉCRÉTALES.

fausses décrétales pour confirmer les dogmes catholiques ou établir la discipline, et en parsemèrent leurs ouvrages.

Ce ne fut que dans le xvie siècle que l’on conçut les premiers soupçons sur leur authenticité. Érasme et plusieurs avec lui la révoquèrent en doute ; voici sur quels fondements :

1º Les décrétales rapportées dans la collection d’Isidore ne sont point dans celle de Denis le Petit, qui n’a commencé à citer les décrétales des papes qu’à Sirice. Cependant il nous apprend qu’il avait pris un soin extrême à les recueillir. Ainsi elles n’auraient pu lui échapper, si elles avaient existé dans les archives de l’Église de Rome, où il faisait son séjour. Si elles ont été inconnues à l’Église romaine à qui elles étaient favorables, elles l’ont été également à toute l’Église. Les Pères ni les conciles des huit premiers siècles n’en ont fait aucune mention. Or comment accorder un silence aussi universel avec leur authenticité ?

2º Ces décrétales n’ont aucun rapport avec l’état des choses dans les temps où on les suppose écrites. On n’y dit pas un mot des hérétiques des trois premiers siècles, ni des autres affaires de l’Église dont les véritables ouvrages d’alors sont remplis : ce qui prouve qu’elles ont été fabriquées postérieurement.

3º Leurs dates sont presque toutes fausses. Leur auteur suit en général la chronologie du livre pontifical, qui, de l’aveu de Caronius, est très-fautive. C’est un indice pressant que cette collection n’a été composée que depuis le livre pontifical.

4º Ces décrétales, dans toutes les citations des passages de l’Écriture, emploient la version appelée Vulgate, faite ou du moins revue et corrigée par saint Jérôme ; donc elles sont plus récentes que saint Jérôme.

5° Enfin elles sont toutes écrites d’un même style, qui est très- barbare, et en cela très-conforme à l’ignorance du viiie siècle : or il n’est pas vraisemblable que tous les différents papes dont elles portent le nom aient affecté cette uniformité de style. On en peut conclure avec assurance que toutes ces décrétales sont d’une même main.

Outre ces raisons générales, chacune des pièces qui composent le recueil d’Isidore porte avec elle des marques de supposition qui lui sont propres, et dont aucune n’a échappé à la critique sévère de David Blondel, à qui nous sommes principalement redevables des lumières que nous avons aujourd’hui sur cette compilation, qui n’est plus nommée que les fausses décrétales ; mais les usages par elles introduits n’en subsistent pas moins dans une partie de l’Europe.