Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
320
DÉCRÉTALES.

vent cette maxime, que non-seulement tout évêque, mais tout prêtre, et en général toute personne opprimée, peut en tout état de cause appeler directement au pape. Il pose encore comme un principe incontestable qu’on ne peut tenir aucun concile, même provincial, sans la permission du pape.

Ces décrétales favorisant l’impunité des évêques, et plus encore les prétentions ambitieuses des papes, les uns et les autres les adoptèrent avec empressement. En 861, Rotade, évêque de Soissons, ayant été privé de la communion épiscopale dans un concile provincial pour cause de désobéissance, appelle au pape. Hincmar de Reims, son métropolitain, nonobstant cet appel, le fit déposer dans un autre concile, sous prétexte que depuis il y avait renoncé et s’était soumis au jugement des évêques.

Le pape Nicolas ler, instruit de l’affaire, écrivit à Hincmar, et blâma sa conduite. « Vous deviez, dit-il, honorer la mémoire de saint Pierre, et attendre notre jugement, quand même Rotade n’eût point appelé. » Et dans une autre lettre sur la même atïaire, il menace Hincmar de l’excommunier s’il ne rétablit pas Rotade. Ce pape fit plus. Rotade étant venu à Rome, il le déclara absous dans un concile tenu la veille de Noël en 864, et le renvoya à son siége avec des lettres. Celle qu’il adresse à tous les évêques des Gaules est digne de remarque ; la voici.

« Ce que vous dites est absurde, que Rotade, après avoir appelé au saint-siége, ait changé de langage pour se soumettre de nouveau à votre jugement. Quand il l’aurait fait, vous deviez le redresser, et lui apprendre qu’on n’appelle point d’un juge supérieur à un inférieur. Mais, encore qu’il n’eût pas appelé au saint-siége, vous n’avez dû en aucune manière déposer un évêque sans notre participation, au préjudice de tant de décrétales de nos prédécesseurs : car si c’est par leur jugement que les écrits des autres docteurs sont approuvés ou rejetés, combien plus doit-on respecter ce qu’ils ont écrit eux-mêmes pour décider sur la doctrine ou la discipline ! Quelques-uns vous disent que ces décrétales ne sont point dans le code des canons ; cependant quand ils les trouvent favorables à leurs intentions, ils s’en servent sans distinction, et ne les rejettent que pour diminuer la puissance du saint-siége ; que, s’il faut rejeter les décrétales des anciens papes parce qu’elles ne sont pas dans le code des canons, il faut donc rejeter les écrits de saint Grégoire et des autres Pères, et même les saintes Écritures.

« Vous dites, continue le pape, que les jugements des évêques ne sont pas des causes majeures ; nous soutenons qu’elles sont