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CYRUS.


CYRUS[1].


Plusieurs doctes, et Rollin après eux, dans un siècle où l’on cultive sa raison, nous ont assuré que Javan, qu’on suppose être le père des Grecs, était petit-fils de Noé. Je le crois, comme je crois que Persée était le fondateur du royaume de Perse, et Niger de la Nigritie. C’est seulement un de mes chagrins que les Grecs n’aient jamais connu ce Noé, le véritable auteur de leur race. J’ai marqué ailleurs[2] mon étonnement et ma douleur qu’Adam, notre père à tous, ait été absolument ignoré de tous, depuis le Japon jusqu’au détroit de Le Maire, excepté d’un petit peuple, qui n’a lui-même été connu que très-tard. La science des généalogies est sans doute très-certaine, mais bien difficile.

Ce n’est ni sur Javan, ni sur Noé, ni sur Adam que tombent aujourd’hui mes doutes, c’est sur Cyrus ; et je ne recherche pas laquelle des fables débitées sur Cyrus est préférable, celle d’Hérodote ou de Ctésias, ou celle de Xénophon, ou de Diodore, ou de Justin, qui toutes se contredisent. Je ne demande point pourquoi on s’est obstiné à donner ce nom de Cyrus à un barbare qui s’appelait Kosrou, et ceux de Cyropolis, de Persépolis, à des villes qui ne se nommèrent jamais ainsi.

Je laisse là tout ce qu’on a dit du grand Cyrus, et jusqu’au roman de ce nom, et jusqu’aux voyages que l’Écossais Ramsay lui a fait entreprendre. Je demande seulement quelques instructions aux Juifs sur ce Cyrus dont ils ont parlé.

Je remarque d’abord qu’aucun historien n’a dit un mot des Juifs dans l’histoire de Cyrus, et que les Juifs sont les seuls qui osent faire mention d’eux-mêmes en parlant de ce prince.

Ils ressemblent en quelque sorte à certaines gens qui disaient d’un ordre de citoyens supérieur à eux : « Nous connaissons messieurs, mais messieurs ne nous connaissent pas. » Il en est de même d’Alexandre par rapport aux Juifs. Aucun historien d’Alexandre n’a mêlé le nom d’Alexandre avec celui des Juifs ; mais Josèphe ne manque pas de dire qu’Alexandre vint rendre ses respects à Jérusalem ; qu’il adora je ne sais quel pontife juif

  1. Cet article parut pour la première fois en 1774, dans l’édition in-4o des Questions sur l’Encyclopédie. (B.)
  2. Voyez l’article Adam ; et dans les Mélanges, année 1768, l’A, B, C, dix-septième entretien.