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BORNES DE L’ESPRIT HUMAIN.

et pour l’Allemagne ; mais en Angleterre c’est un usage reçu. Il y a moins loin d’un homme à un homme à Londres qu’à Vienne.

On sait de quelle importance il est en Angleterre de boire à la santé d’un prince qui prétend au trône : c’est se déclarer son partisan. Il en a coûté cher à plus d’un Écossais et d’un Irlandais pour avoir bu à la santé des Stuarts.

Tous les whigs buvaient, après la mort du roi Guillaume, non pas à sa santé, mais à sa mémoire. Un tory nommé Brown, évêque de Cork en Irlande, grand ennemi de Guillaume, dit qu’il mettrait un bouchon à toutes les bouteilles qu’on vidait à la gloire de ce monarque, parce que cork en anglais signifie bouchon. Il ne s’en tint pas à ce fade jeu de mots ; il écrivit, en 1702, une brochure (ce sont les mandements du pays) pour faire voir aux Irlandais que c’est une impiété atroce de boire à la santé des rois, et surtout à leur mémoire ; que c’est une profanation de ces paroles de Jésus-Christ : « Buvez-en tous ; faites ceci en mémoire « de moi. »

Ce qui étonnera, c’est que cet évêque n’était pas le premier qui eût conçu une telle démence. Avant lui, le presbytérien Prynne avait fait un gros livre contre l’usage impie de boire à la santé des chrétiens.

Enfin il y eut un Jean Géré, curé de la paroisse de Sainte-Foi, qui publia « la divine potion pour conserver la santé spirituelle par la cure de la maladie invétérée de boire à la santé, avec des arguments clairs et solides contre cette coutume criminelle, le tout pour la satisfaction du public ; à la requête d’un digne membre du parlement, l’an de notre salut 1648 ».

Notre révérend père Garasse, notre révérend père Patouillet, et notre révérend père Nonotte, n’ont rien de supérieur à ces profondeurs anglaises. Nous avons longtemps lutté, nos voisins et nous, à qui l’emporterait.



BORNES DE L’ESPRIT HUMAIN[1].


On demandait un jour à Newton pourquoi il marchait quand il en avait envie, et comment son bras et sa main se remuaient à sa volonté. Il répondit bravement qu’il n’en savait rien. Mais du moins, lui dit-on, vous qui connaissez si bien la gravitation des planètes, vous me direz par quelle raison elles tournent dans un

  1. Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770. (B.)