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CRIMINEL.

cusés innocents, à l’aide d’un monitoire, pour avoir le plaisir de faire ce qu’on appelle une justice, qui est la tragédie de la canaille.



CRIMINALISTE.


Dans les antres de la chicane, on appelle grand criminaliste un barbare en robe qui sait faire tomber les accusés dans le piège, qui ment impudemment pour découvrir la vérité, qui intimide des témoins, et qui les force, sans qu’ils s’en aperçoivent, à déposer contre le prévenu : s’il y a une loi antique et oubliée, portée dans un temps de guerres civiles, il la fait revivre, il la réclame dans un temps de paix. Il écarte, il affaiblit tout ce qui peut servir à justifier un malheureux ; il amplifie, il aggrave tout ce qui peut servir à le condamner ; son rapport n’est pas d’un juge, mais d’un ennemi. Il mérite d’être pendu à la place du citoyen qu’il fait pendre.



CRIMINEL[1].


PROCÈS CRIMINEL.


On a puni souvent par la mort des actions très-innocentes : c’est ainsi qu’en Angleterre Richard III et Édouard IV firent condamner par des juges ceux qu’ils soupçonnaient de ne leur être pas attachés. Ce ne sont pas là des procès criminels, ce sont des assassinats commis par des meurtriers privilégiés. Le dernier degré de la perversité est de faire servir les lois à l’injustice.

On dit que les Athéniens punissaient de mort tout étranger qui entrait dans l’église, c’est-à-dire dans l’assemblée du peuple. Mais si cet étranger n’était qu’un curieux, rien n’était plus barbare que de le faire mourir. Il est dit dans l’Esprit des lois[2] qu’on usait de cette rigueur « parce que cet homme usurpait les droits de la souveraineté ». Mais un Français qui entre à Londres dans la chambre des communes pour entendre ce qu’on y dit ne prétend point faire le souverain. On le reçoit avec bonté. Si quelque membre de mauvaise humeur demande le Clear the house « éclaircissez la chambre », mon voyageur l’éclaircit en s’en allant ; il

  1. Questions sur l’Encyclopédie, quatrième partie, 1771. (B.)
  2. Livre II, chapitre ii. (Note de Voltaire.)