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CONTRADICTIONS.

C’est ainsi que le malheureux prédicant Antoine[1], trompé par les contradictions apparentes qu’il crut voir entre la nouvelle loi et l’ancienne, entre l’olivier franc et l’olivier sauvage, eut le malheur de quitter la religion chrétienne pour la religion juive ; et, plus hardi que Jean Meslier, il aima mieux mourir que se rétracter.

On voit, par le testament de Jean Meslier, que c’étaient surtout les contrariétés apparentes des Évangiles qui avaient bouleversé l’esprit de ce malheureux pasteur, d’ailleurs d’une vertu rigide, et qu’on ne peut regarder qu’avec compassion. Meslier est profondément frappé des deux généalogies qui semblent se combattre ; il n’en avait pas vu la conciliation ; il se soulève, il se dépite, en voyant que saint Matthieu fait aller le père, la mère, et l’enfant en Égypte après avoir reçu l’hommage des trois mages ou rois d’Orient, et pendant que le vieil Hérode, craignant d’être détrôné par un enfant qui vient de naître à Bethléem, fait égorger tous les enfants du pays pour prévenir cette révolution. Il est étonné que ni saint Luc, ni saint Jean, ni saint Marc, ne parlent de ce massacre. Il est confondu quand il voit que saint Luc fait rester saint Joseph, la bienheureuse vierge Marie, et Jésus notre Sauveur, à Bethléem, après quoi ils se retirèrent à Nazareth. Il devait voir que la sainte famille pouvait aller d’abord en Égypte, et quelque temps après à Nazareth, sa patrie.

Si saint Matthieu seul parle des trois mages et de l’étoile qui les conduisit du fond de l’Orient à Bethléem, et du massacre des enfants ; si les autres évangélistes n’en parlent pas, ils ne contredisent point saint Matthieu ; le silence n’est point une contradiction.

Si les trois premiers évangélistes, saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, ne font vivre Jésus-Christ que trois mois depuis son baptême en Galilée jusqu’à son supplice à Jérusalem ; et si saint Jean le fait vivre trois ans et trois mois, il est aisé de rapprocher saint Jean des trois autres évangélistes, puisqu’il ne dit point expressément que Jésus-Christ prêcha en Galilée pendant trois ans et trois mois, et qu’on l’infère seulement de ses récits. Fallait-il renoncer à sa religion sur de simples inductions, sur de simples raisons de controverse, sur des difficultés de chronologie ?

Il est impossible, dit Meslier, d’accorder saint Matthieu et saint Luc, quand le premier dit que Jésus en sortant du désert alla à Capharnaüm, et le second qu’il alla à Nazareth.

  1. Voyez l’article Miracles, section iv, et dans les Mélanges, année 1766, le paragraphe vii du Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines.