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CONTRADICTIONS.

ont commis beaucoup de fautes, et qu’il y en a plus de dix mille dans la version que nous avons. Nous aimons mieux dire, avec les docteurs et les plus éclairés, que les Évangiles nous ont été donnés pour nous enseigner à vivre saintement, et non pas à critiquer savamment.

Ces prétendues contradictions firent un effet bien terrible sur le déplorable Jean Meslier, curé d’Étrepigny et de But en Champagne : cet homme, vertueux à la vérité, et très-charitable, mais sombre et mélancolique, n’ayant guère d’autres livres que la Bible et quelques Pères, les lut avec une attention qui lui devint fatale : il ne fut pas assez docile, lui qui devait enseigner la docilité à son troupeau. Il vit les contradictions apparentes, et ferma les yeux sur la conciliation. Il crut voir des contradictions affreuses entre Jésus né Juif, et ensuite reconnu Dieu ; entre ce Dieu connu d’abord pour le fils de Joseph, charpentier, et le frère de Jacques, mais descendu d’un empyrée qui n’existe point, pour détruire le péché sur la terre, et la laissant couverte de crimes ; entre ce Dieu né d’un vil artisan, et descendant de David par son père qui n’était pas son père ; entre le créateur de tous les mondes, et le petit-fils de l’adultère Bethsabée, de l’impudente Ruth, de l’incestueuse Thamar, de la prostituée de Jéricho, et de la femme d’Abraham ravie par un roi d’Égypte, ravie ensuite à l’âge de quatre-vingt-dix ans.

Meslier étale avec une impiété monstrueuse toutes ces prétendues contradictions qui le frappèrent, et dont il lui aurait été aisé de voir la solution pour peu qu’il eût eu l’esprit docile. Enfin sa tristesse s’augmentant dans sa solitude, il eut le malheur de prendre en horreur la sainte religion qu’il devait prêcher et aimer ; et, n’écoutant plus que sa raison séduite, il abjura le christianisme par un testament olographe, dont il laissa trois copies à sa mort, arrivée en 1732. L’extrait de ce testament[1] a été imprimé plusieurs fois, et c’est un scandale bien cruel. Un curé qui demande pardon à Dieu et à ses paroissiens, en mourant, de leur avoir enseigné des dogmes chrétiens ! un curé charitable qui a le christianisme en exécration, parce que plusieurs chrétiens sont méchants, que le faste de Rome le révolte, et que les difficultés des saints livres l’irritent ! un curé qui parle du christianisme comme Porphyre, Jamblique, Épictète, Marc-Aurèle, Julien ! et cela lorsqu’il est prêt de paraître devant Dieu ! Quel coup funeste pour lui et pour ceux que son exemple peut égarer !

  1. Voyez cet Extrait du testament de Meslier dans les Mélanges, année 1762.