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CONTRADICTIONS.

place, exiler indifféremment tantôt Arius, tantôt Athanase. Il se mettait à la tête du christianisme sans être chrétien : car c’était ne pas l’être dans ce temps-là que de n’être pas baptisé ; il n’était que catéchumène. L’usage même d’attendre les approches de la mort pour se faire plonger dans l’eau de régénération commençait à s’abolir pour les particuliers. Si Constantin, en différant son baptême jusqu’à la mort, crut pouvoir tout faire impunément dans l’espérance d’une expiation entière, il était triste pour le genre humain qu’une telle opinion eût été mise dans la tête d’un homme tout-puissant.



CONTRADICTIONS.


SECTION PREMIÈRE[1].


Plus on voit ce monde, et plus on le voit plein de contradictions et d’inconséquences. À commencer par le Grand Turc, il fait couper toutes les têtes qui lui déplaisent, et peut rarement conserver la sienne.

Si du Grand Turc nous passons au saint-père, il confirme l’élection des empereurs, il a des rois pour vassaux, mais il n’est pas si puissant qu’un duc de Savoie. Il expédie des ordres pour l’Amérique et pour l’Afrique, et il ne pourrait pas ôter un privilége à la république de Lucques. L’empereur est roi des Romains ; mais le droit de leur roi consiste à tenir l’étrier du pape, et à lui donner à laver à la messe.

Les Anglais servent leur monarque à genoux, mais ils le déposent, l’emprisonnent, et le fond périr sur l’échafaud.

Des hommes qui font vœu de pauvreté obtiennent, en vertu de ce vœu, jusqu’à deux cent mille écus de rente, et, en conséquence de leur vœu d’humilité, sont des souverains despotiques. On condamne hautement à Rome la pluralité des bénéfices avec charge d’âmes ; et on donne tous les jours des bulles à un Allemand pour cinq ou six évêchés à la fois. C’est, dit-on, que les évêques allemands n’ont point charge d’âmes. Le chancelier de

  1. Ce morceau est imprimé dans le tome V de l’édition de 1742 des Œuvres de Voltaire. L’auteur le comprit dans son édition de 1756 parmi les Mélanges, troisième partie. Ce sont les éditeurs de Kehl qui l’ont placé ici.

    On peut voir dans les Mélanges de la présente édition, année 1727, un fragment sur les contradictions, qui, disent les éditeurs de Kehl, semble avoir fait partie d’une lettre écrite d’Angleterre. (B.)