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CONSTANTIN.

dieux de l’empire ; on ne s’embarrassait pas s’ils allaient aux temples ou s’ils les fuyaient ; il y avait parmi les Romains une liberté absolue sur les exercices de leur religion ; personne ne fut jamais forcé de les remplir. Les chrétiens jouissaient donc de la même liberté que les autres : il est si vrai qu’ils parvinrent aux honneurs, que Dioclétien et Galérius les en privèrent en 303, dans la persécution dont nous parlerons.

Il faut adorer la Providence dans toutes ses voies ; mais je me borne, selon vos ordres, à l’histoire politique.

Manès, sous le règne de Probus, vers l’an 278, forma une religion nouvelle dans Alexandrie. Cette secte était composée des anciens principes des Persans, et de quelques dogmes du christianisme. Probus et son successeur Carus laissèrent en paix Manès et les chrétiens. Numérien leur laissa une liberté entière. Dioclétien protégea les chrétiens, et toléra les manichéens pendant douze années ; mais, en 296, il donna un édit contre les manichéens, et les proscrivit comme des ennemis de l’empire attachés aux Perses. Les chrétiens ne furent point compris dans l’édit ; ils demeurèrent tranquilles sous Dioclétien, et firent une profession ouverte de leur religion dans tout l’empire, jusqu’aux deux dernières années du règne de ce prince.

Pour achever l’esquisse du tableau que vous demandez, il faut vous représenter quel était alors l’empire romain. Malgré toutes les secousses intérieures et étrangères, malgré les incursions des barbares, il comprenait tout ce que possède aujourd’hui le sultan des Turcs, excepté l’Arabie ; tout ce que possède la maison d’Autriche en Allemagne, et toutes les provinces d’Allemagne jusqu’à l’Elbe ; l’Italie, la France, l’Espagne, l’Angleterre, et la moitié de l’Écosse ; toute l’Afrique jusqu’au désert de Darha, et même les îles Canaries. Tant de pays étaient tenus sous le joug par des corps d’armée moins considérables que l’Allemagne et la France n’en mettent aujourd’hui sur pied quand elles sont en guerre.

Cette grande puissance s’affermit et s’augmenta même depuis César jusqu’à Théodose, autant par les lois, par la police et par les bienfaits, que par les armes et par la terreur. C’est encore un sujet d’étonnement qu’aucun de ces peuples conquis n’ait pu, depuis qu’ils se gouvernent par eux-mêmes, ni construire des grands chemins, ni élever des amphithéâtres et des bains publics, tels que leurs vainqueurs leur en donnèrent. Des contrées qui sont aujourd’hui presque barbares et désertes étaient peuplées et policées : telles furent l’Épire, la Macédoine, la Thessalie, l’Illyrie, la Pannonie, surtout l’Asie Mineure et les côtes de l’Afrique ;