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CONSÉQUENCE.

Il est dit que l’éléphant divin était haut de neuf pieds de roi. Tu présumes avec raison que la porte de son écurie devait avoir plus de neuf pieds, afin qu’il pût y entrer à son aise. Il mangeait cinquante livres de riz par jour, vingt-cinq livres de sucre, et buvait vingt-cinq livres d’eau. Tu trouves par ton arithmétique qu’il avalait trente-six mille cinq cents livres pesant par année ; on ne peut compter mieux. Mais ton éléphant a-t-il existé ? était-il beau-frère de l’empereur ? sa femme a-t-elle fait un enfant par le côté gauche ? c’est là ce qu’il fallait examiner. Vingt auteurs qui vivaient à la Cochinchine l’ont écrit l’un après l’autre : tu devais confronter ces vingt auteurs, peser leurs témoignages, consulter les anciennes archives, voir s’il est question de cet éléphant dans les registres, examiner si ce n’est point une fable que des imposteurs ont eu intérêt d’accréditer. Tu es parti d’un principe extravagant pour en tirer des conclusions justes.

C’est moins la logique qui manque aux hommes que la source de logique. Il ne s’agit pas de dire : Six vaisseaux qui m’appartiennent sont chacun de deux cents tonneaux, le tonneau est de deux mille livres pesant ; donc j’ai douze cent mille livres de marchandises au port du Pirée. Le grand point est de savoir si ces vaisseaux sont à toi. Voilà le principe dont la fortune dépend ; tu compteras après[1].

Un ignorant fanatique et conséquent est souvent un homme à étouffer. Il aura lu que Phinées, transporté d’un saint zèle, ayant trouvé un Juif couché avec une Madianite, les tua tous deux, et fut imité par les lévites, qui massacrèrent tous les ménages moitié madianites et moitié juifs. Il sait que son voisin catholique couche avec sa voisine huguenote ; il les tuera tous deux sans difficulté : on ne peut agir plus conséquemment. Quel est le remède à cette maladie horrible de l’âme ? C’est d’accoutumer de bonne heure les enfants à ne rien admettre qui choque la raison ; de ne leur conter jamais d’histoires de revenants, de fantômes, de sorciers, de possédés, de prodiges ridicules. Une fille d’une imagination tendre et sensible entend parler de possessions : elle tombe dans une maladie de nerfs, elle a des convulsions, elle se croit possédée. J’en ai vu mourir une de la révolution que ces abominables histoires avaient faite dans ses organes[2].

  1. Voyez l’article Principe.
  2. Voyez l’article Esprit, section iv ; et l’article Fanatisme, section ii. (Note de Voltaire.)