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CONSÉQUENCE.
Bartolomé.

Vous me donnez envie d’être ignorant, tant vous raisonnez bien. Mais comment vous tirerez-vous des affaires d’État, de finance, de commerce ?

Géronimo.

Dieu merci ! nous ne nous en mêlons guère à Naples. Une fois, le marquis de Carpi, notre vice-roi, voulut nous consulter sur les monnaies : nous parlâmes de l’æs grave des Romains, et les banquiers se moquèrent de nous. On nous assembla dans un temps de disette pour régler le prix du blé : nous fûmes assemblés six semaines, et on mourait de faim. On consulta enfin deux forts laboureurs et deux bons marchands de blé, et il y eut dès le lendemain plus de pain au marché qu’on n’en voulait.

Chacun doit se mêler de son métier ; le mien est de juger les contestations, et non pas d’en faire naître : mon fardeau est assez grand.


CONSÉQUENCE[1].


Quelle est donc notre nature, et qu’est-ce que notre chétif esprit ? Quoi ! l’on peut tirer les conséquences les plus justes, les plus lumineuses, et n’avoir pas le sens commun ? Cela n’est que trop vrai. Le fou d’Athènes qui croyait que tous les vaisseaux qui abordaient au Pirée lui appartenaient pouvait calculer merveilleusement combien valait le chargement de ces vaisseaux, et en combien de jours ils pouvaient arriver de Smyrne au Pirée.

Nous avons vu des imbéciles qui ont fait des calculs et des raisonnements bien plus étonnants. Ils n’étaient donc pas imbéciles, me dites-vous. Je vous demande pardon, ils l’étaient. Ils posaient tout leur édifice sur un principe absurde ; ils enfilaient régulièrement des chimères. Un homme peut marcher très-bien et s’égarer, et alors mieux il marche et plus il s’égare.

Le Fo des Indiens eut pour père un éléphant qui daigna faire un enfant à une princesse indienne, laquelle accoucha du dieu Fo par le côté gauche. Cette princesse était la propre sœur d’un empereur des Indes : donc Fo était le neveu de l’empereur ; et les petit-fils de l’éléphant et du monarque étaient cousins issus de germain ; donc, selon les lois de l’État, la race de l’empereur étant éteinte, ce sont les descendants de l’éléphant qui doivent succéder. Le principe reçu, on ne peut mieux conclure.

  1. Questions sur l’Encyclopédie, quatrième partie, 1771. (B.)