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BLÉ OU BLED.

La Turquie ne manque jamais de blé, et en vend peu. L’Espagne en manque quelquefois, et n’en vend jamais. Les côtes d’Afrique en ont, et en vendent. La Pologne en est toujours bien fournie, et n’en est pas plus riche.

Les provinces méridionales de la Russie en regorgent ; on le transporte à celles du nord avec beaucoup de peine ; on en peut faire un grand commerce par Riga.

La Suède ne recueille du froment qu’en Scanie ; le reste ne produit que du seigle ; les provinces septentrionales, rien.

Le Danemark, peu.

L’Écosse, encore moins.

La Flandre autrichienne est bien partagée.

En Italie, tous les environs de Rome, depuis Viterbe jusqu’à Terracine, sont stériles. Le Bolonais, dont les papes se sont emparés parce qu’il était à leur bienséance, est presque la seule province qui leur donne du pain abondamment.

Les Vénitiens en ont à peine de leur cru pour le besoin, et sont souvent obligés d’acheter des firmans à Constantinople, c’est-à-dire des permissions de manger. C’est leur ennemi et leur vainqueur qui est leur pourvoyeur.

Le Milanais est la terre promise, en supposant que la terre promise avait du froment.

La Sicile se souvient toujours de Cérès ; mais on prétend qu’on n’y cultive pas aussi bien la terre que du temps d’Hiéron, qui donnait tant de blé aux Romains. Le royaume de Naples est bien moins fertile que la Sicile, et la disette s’y fait sentir quelquefois, malgré San-Gennaro.

Le Piémont est un des meilleurs pays.

La Savoie a toujours été pauvre, et le sera.

La Suisse n’est guère plus riche ; elle a peu de froment : il y a des cantons qui en manquent absolument.

Un marchand de blé peut se régler sur ce petit mémoire ; et il sera ruiné, à moins qu’il ne s’informe au juste de la récolte de l’année et du besoin du moment.


Résumé.


Suivez le précepte d’Horace : Ayez toujours une année de blé par-devers vous ; provisæ frugis in annum[1].

  1. Livre Ier, épître xviii, vers 109.