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CONSCIENCE.

égorgent, violent, non-seulement sans remords, mais avec un plaisir charmant, avec honneur et gloire, avec les applaudissements de tous leurs camarades.

Il est très-sûr que dans les massacres de la Saint-Barthélemy, et dans les auto-da-fé, dans les saints actes de foi de l’Inquisition, nulle conscience de meurtrier ne se reprocha jamais d’avoir massacré hommes, femmes, enfants ; d’avoir fait crier, évanouir, mourir dans les tortures des malheureux qui n’avaient d’autres crimes que de faire la pâque différemment des inquisiteurs.

Il résulte de tout cela que nous n’avons point d’autre conscience que celle qui nous est inspirée par le temps, par l’exemple, par notre tempérament, par nos réflexions.

L’homme n’est né avec aucun principe, mais avec la faculté de les recevoir tous. Son tempérament le rendra plus enclin à la cruauté ou à la douceur ; son entendement lui fera comprendre un jour que le carré de douze est cent quarante-quatre, qu’il ne faut pas faire aux autres ce qu’il ne voudrait pas qu’on lui fît ; mais il ne comprendra pas de lui-même ces vérités dans son enfance ; il n’entendra pas la première, et il ne sentira pas la seconde.

Un petit sauvage qui aura faim, et à qui son père aura donné un morceau d’un autre sauvage à manger, en demandera autant le lendemain, sans imaginer qu’il ne faut pas traiter son prochain autrement qu’on ne voudrait être traité soi-même. Il fait machinalement, invinciblement, tout le contraire de ce que cette éternelle vérité enseigne.

La nature a pourvu à cette horreur ; elle a donné à l’homme la disposition à la pitié, et le pouvoir de comprendre la vérité. Ces deux présents de Dieu sont le fondement de la société civile. C’est ce qui fait qu’il y a toujours eu peu d’anthropophages ; c’est ce qui rend la vie un peu tolérable chez les nations civilisées. Les pères et les mères donnent à leurs enfants une éducation qui les rend bientôt sociables ; et cette éducation leur donne une conscience.

Une religion pure, une morale pure, inspirées de bonne heure, façonnent tellement la nature humaine que, depuis environ sept ans jusqu’à seize ou dix-sept, on ne fait pas une mauvaise action sans que la conscience en fasse un reproche. Ensuite viennent les violentes passions qui combattent la conscience, et qui l’étouffent quelquefois. Pendant le conflit, les hommes tourmentés par cet orage consultent en quelques occasions d’autres hommes, comme dans leurs maladies ils consultent ceux qui ont l’air de se bien porter.