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CONFISCATION.

dans tout le temps de la république romaine. Sylla l’introduisit dans ses proscriptions. Il faut avouer qu’une rapine inventée par Sylla n’était pas un exemple à suivre. Aussi cette loi, qui semblait n’être dictée que par l’inhumanité et l’avarice, ne fut suivie ni par César, ni par le bon empereur Trajan, ni par les Antonins, dont toutes les nations prononcent encore le nom avec respect et avec amour. Enfin, sous Justinien, la confiscation n’eut lieu que pour le crime de lèse-majesté. Comme ceux qui en étaient accusés étaient pour la plupart de grands seigneurs, il semble que Justinien n’ordonna la confiscation que par avarice. Il semble aussi que dans les temps de l’anarchie féodale, les princes et les seigneurs des terres étant très-peu riches, cherchassent à augmenter leur trésor par les condamnations de leurs sujets, et qu’on voulût leur faire un revenu du crime. Les lois chez eux étant arbitraires, et la jurisprudence romaine ignorée, les coutumes ou bizarres ou cruelles prévalurent. Mais aujourd’hui que la puissance des souverains est fondée sur des richesses immenses et assurées, leur trésor n’a pas besoin de s’enfler des faibles débris d’une famille malheureuse. Ils sont abandonnés pour l’ordinaire au premier qui les demande. Mais est-ce à un citoyen à s’engraisser des restes du sang d’un autre citoyen ?

La confiscation n’est point admise dans les pays où le droit romain est établi, excepté le ressort du parlement de Toulouse. Elle ne l’est point dans quelques pays coutumiers, comme le Bourbonnais, le Berry, le Maine, le Poitou, la Bretagne, où au moins elle respecte les immeubles. Elle était établie autrefois à Calais, et les Anglais l’abolirent lorsqu’ils en furent les maîtres. Il est assez étrange que les habitants de la capitale vivent sous une loi plus rigoureuse que ceux de ces petites villes : tant il est vrai que la jurisprudence a été souvent établie au hasard, sans régularité, sans uniformité, comme on bâtit des chaumières dans un village.

Voici comment l’avocat général Omer Talon parla en plein parlement dans le plus beau siècle de la France, en 1673, au sujet des biens d’une demoiselle de Canillac, qui avaient été confisqués. Lecteur, faites attention à ce discours ; il n’est pas dans le style des Oraisons de Cicéron, mais il est curieux[1].

  1. Voyez ce morceau dans le Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines, depuis l’alinéa qui commence par ces mots : Au chapitre xiii du Deutéronome, jusqu’à la fin du paragraphe xxi (Mélanges, année 1766).