Cependant, année commune, la France avait de quoi se nourrir, et quelquefois de quoi vendre. On se plaignit toujours (et il faut se plaindre pour qu’on vous suce un peu moins) ; mais la France, depuis 1661 jusqu’au commencement du XVIIIe siècle, fut au plus haut point de grandeur. Ce n’était pas la vente de son blé qui la rendait si puissante, c’était son excellent vin de Bourgogne, de Champagne, et de Bordeaux ; le débit de ses eaux-de-vie dans tout le Nord, de son huile, de ses fruits, de son sel, de ses toiles, de ses draps, des magnifiques étoffes de Lyon et même de Tours, de ses rubans, de ses modes de toute espèce ; enfin les progrès de l’industrie. Le pays est si bon, le peuple si laborieux, que la révocation de l’édit de Nantes ne put faire périr l’État. Il n’y a peut-être pas une preuve plus convaincante de sa force.
Le blé resta toujours à vil prix : la main-d’œuvre par conséquent ne fut pas chère ; le commerce prospéra, et on cria toujours contre la dureté du temps.
La nation ne mourut pas de la disette horrible de 1709 ; elle fut très-malade, mais elle réchappa. Nous ne parlons ici que du blé, qui manqua absolument ; il fallut que les Français en achetassent de leurs ennemis mêmes ; les Hollandais en fournirent seuls autant que les Turcs.
Quelques désastres que la France ait éprouvés, quelques succès qu’elle ait eus ; que les vignes aient gelé, ou qu’elles aient produit autant de grappes que dans la Jérusalem céleste, le prix du blé a toujours été assez uniforme, et, année commune, un setier de blé a toujours payé quatre paires de souliers depuis Charlemagne[1].
Vers l’an 1750, la nation, rassasiée de vers, de tragédies, de comédies, d’opéras, de romans, d’histoires romanesques, de réflexions morales plus romanesques encore, et de disputes théologiques sur la grâce et sur les convulsions, se mit enfin à raisonner sur les blés.
On oublia même les vignes pour ne parler que de froment et de seigle. On écrivit des choses utiles sur l’agriculture : tout le monde les lut, excepté les laboureurs. On supposa, au sortir de l’Opéra-Comique, que la France avait prodigieusement de blé à vendre. Enfin le cri de la nation obtint du gouvernement, en 1764, la liberté de l’exportation[2].
- ↑ Mais il y a eu souvent d’énormes différences d’une année à l’autre ; et c’est ce qui cause la misère du peuple, parce que les salaires n’augmentent pas à proportion. (K.)
- ↑ Cette liberté fut limitée ; il ne sortit que très-peu de blé, et bientôt les mauvaises récoltes rendirent toute exportation impossible. Il résulterait deux grands biens d’une liberté absolue de l’exportation : l’encouragement de l’agriculture, et une plus grande constance dans le prix du grain. (K).