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CICÉRON.

Peut-on mépriser Cicéron si on considère sa conduite dans son gouvernement de la Cilicie, qui était alors une des plus importantes provinces de l’empire romain, en ce qu’elle confinait à la Syrie et à l’empire des Parthes ? Laodicée, l’une des plus belles villes d’Orient, en était la capitale : cette province était aussi florissante qu’elle est dégradée aujourd’hui sous le gouvernement des Turcs, qui n’ont jamais eu de Cicéron.

Il commence par protéger le roi de Cappadoce Ariobarzane, et il refuse les présents que ce roi veut lui faire. Les Parthes viennent attaquer en pleine paix Antioche ; Cicéron y vole, il atteint les Parthes après des marches forcées par le mont Taurus ; il les fait fuir, il les poursuit dans leur retraite ; Orzace[1] leur général est tué avec une partie de son armée.

De là il court à Pendenissum, capitale d’un pays allié des Parthes : il la prend ; cette province est soumise. Il tourne aussitôt contre les peuples appelés Tiburaniens : il les défait, et ses troupes lui défèrent le titre d’empereur, qu’il garda toute sa vie. Il aurait obtenu à Rome les honneurs du triomphe sans Caton, qui s’y opposa, et qui obligea le sénat à ne décerner que des réjouissances publiques et des remerciements aux dieux, lorsque c’était à Cicéron qu’on devait en faire.

Si on se représente l’équité, le désintéressement de Cicéron dans son gouvernement, son activité, son affabilité, deux vertus si rarement compatibles, les bienfaits dont il combla les peuples dont il était le souverain absolu, il faudra être bien difficile pour ne pas accorder son estime à un tel homme.

Si vous faites réflexion que c’est là ce même Romain qui le premier introduisit la philosophie dans Rome, que ses Tusculanes et son livre de la Nature des dieux sont les deux plus beaux ouvrages qu’ait jamais écrits la sagesse qui n’est qu’humaine, et que son Traité des Offices est le plus utile que nous ayons en morale, il sera encore plus malaisé de mépriser Cicéron. Plaignons ceux qui ne le lisent pas, plaignons encore plus ceux qui ne lui rendent pas justice.

Opposons au détracteur français les vers de l’Espagnol Martial, dans son épigramme contre Antoine (l. V, épig. 69) :

  1. L’Art de vérifier les dates (avant J.-C.) écrit aussi Orsace : cependant on lit Osaces dans Cicéron lui-même (Lettres à Atticus, v, 20) et dans d’autres auteurs.(B.)